« Faire de la politique était la suite logique de mon militantisme », raconte Sébastien Kessler, attablé au bistrot du Grand Conseil vaudois, au cœur de la vieille ville de Lausanne. Le 5 décembre dernier, le socialiste prêtait serment pour rejoindre les rangs du parlement vaudois, après avoir siégé quelques années au conseil communal de Lausanne. Sa nomination a été particulière puisqu’elle a entraîné – et entraînera – plusieurs travaux chiffrés à des dizaines de milliers de francs, allant de l’adaptation de son bureau et de l’ascenseur à l’installation de rampes pour accéder à la salle plénière. Car Sébastien Kessler est le premier député en fauteuil du canton. « L’inclusion commence déjà dans les lieux de pouvoir », plaisante à demi-teinte le quinquagénaire.
Si l’élu s’engage sur les thèmes défendus traditionnellement par la gauche, c’est principalement le combat pour l’inclusion qui l’anime. Lorsqu’il en parle, il ne mâche pas ses mots : la Suisse est en retard en matière d’accessibilité en comparaison européenne: « C’est un pays riche, avec un niveau d’éducation élevé. La Suisse a les moyens de mettre en place des mesures en faveur des personnes en situation de handicap. Elle n’a aucune excuse pour ne pas aller plus vite », affirme le député. Le Comité de l'ONU pour les droits des personnes handicapées a pointé du doigt à plusieurs reprises les défaillances de la Suisse en matière d’égalité, bien que le pays ait ratifié en 2014 la Convention des personnes handicapées et dispose depuis 2004 d’une loi nationale, la LHand.
Sébastien Kessler estime qu’en dix ans, la progression en matière d’inclusion reste maigre. Accès à l’emploi compliqué, infrastructures et transports publics inadaptés, conditions de formations difficiles, manque de liberté dans le choix du logement, discriminations au quotidien… et la liste d’obstacles est encore longue. Si le député reconnaît que certains cantons ont fait des avancées, il déplore que la mise en place d’une véritable politique au niveau national se fasse désirer. Bien que le Conseil fédéral travaille actuellement sur la révision de la LHand, il considère déjà l’avant-projet comme « insuffisant », ne répondant pas aux besoins des personnes en situation de handicap. « Il faut des lois efficaces pour que plus d’un quart de la population suisse puisse elle aussi mener une vie autonome. En plus, tout le monde profiterait des mesures d’inclusion, car chacun peut être touché par un handicap en vieillissant. »
L’inclusion dans la peau
L’inclusion n’est pas qu’une affaire politique. Sébastien Kessler porte ce combat à tous les niveaux. À commencer par le milieu associatif, où il est engagé auprès de plusieurs organisations telles qu’Inclusion Handicap, mais aussi dans le cadre professionnel. Il a fondé il y a 13 ans un cabinet de conseil spécialisé dans l’accessibilité universelle « pour faire évoluer les mentalités ». Objectif : sensibiliser les collectivités publiques aux espaces et infrastructures inclusives. Une démarche pionnière en Suisse. « Nous nous focalisons sur tous types de handicaps, pas seulement les plus visibles comme les handicaps moteurs. Les personnes âgées, aveugles ou sur le spectre autistique ont des besoins spécifiques », précise l’ingénieur-physicien. Son organisation a par exemple travaillé sur plusieurs projets lausannois d’envergure, comme le pôle muséal Plateforme 10 ou la conception des métros M2 et du futur M3.
Un combat pour l’inclusion qu’il compte poursuivre au sein de sa nouvelle fonction politique. « Être un député en chaise a déjà un impact politique. Nous apportons une expertise sur le sujet et amenons la thématique à l’agenda. Et la représentation publique peut pousser d’autres personnes concernées à s’engager », juge Sébastien Kessler. Mais une meilleure représentativité des personnes en situation de handicap en politique reste nécessaire selon lui. Les élections fédérales d’octobre dernier ont apporté une lueur d’espoir, avec l’élection de trois conseillers nationaux en situation de handicap moteur. Mais le député précise toutefois que les obstacles qui se dressent face aux personnes en situation de handicap sont nombreux, plus particulièrement si elles souhaitent accéder à un exécutif « Pour se faire élire, il faut redoubler d’efforts. Il faut faire campagne dans la rue, participer à des manifestations publiques, discuter avec l’électorat… Selon le type de handicap que l’on a, faire campagne est un défi. » C’est pourquoi il se considère lui-même comme « privilégié » en raison de son genre et de son handicap, l’un des plus visibilisés dans l’espace public. Pragmatique, le député semble adopter la politique des petits pas, jouant un peu un numéro d’équilibriste pour faire avancer la thématique de l’inclusion tout en respectant les sensibilités de chacun·e·x. Finalement, « l’inclusion n’est rien de plus ni moins que permettre à tout le monde d’exister ».