Au premier abord, il semble être une véritable force tranquille : voix calme, un poil insouciant et plutôt « bonnard ». Mais lorsqu’on s’intéresse à son parcours, on constate une forte personnalité, qui ne se laisse pas faire. Du haut de ses 24 ans, Nouh Latoui a déjà su hausser la voix à plusieurs reprises pour revendiquer ses droits. Né avec une paraplégie, il n’a jamais vu son handicap comme une limitation et refuse de laisser la société lui mettre des barrières.
C’est cette détermination qui a valu au Lausannois de devenir la première recrue en fauteuil roulant de Suisse. Un accomplissement personnel qui est le résultat d’un combat qui a duré plus de trois ans. Tout commence lorsqu’un médecin militaire atteste qu’il est « inapte » à faire l’armée en raison de son handicap, ce qui permet l’exonération de la taxe militaire. Mais Nouh Latoui ne l’entend pas de cette oreille : « C’est une décision discriminante. On voit seulement mon fauteuil roulant, et non pas mes capacités. » Il brandit un certificat médical attestant que l’armée ne mettrait pas sa santé en danger. Mais il fait face à un mur. Après s’être vu réformé, il contacte un avocat d’Inclusion Handicap pour faire valoir son droit au service militaire. Une démarche qui peut sembler étonnante pour un membre du Parti socialiste. « C’est un rêve que j’ai depuis petit. J’avais envie de donner moi aussi un peu de mon temps pour servir la Suisse, socialiste ou non », explique le jeune homme.
Voir une personne en fauteuil en treillis militaire semble dérouter.
En s’armant de patience, et à coup de recours, Nouh Latoui finit par obtenir gain de cause. Il rejoint en 2021 la caserne de Payerne, où il occupe un poste dans la logistique. L’une de ses plus belles expériences, comme il aime le rappeler, remplie de bienveillance. Mais voir une personne en fauteuil en treillis militaire semble dérouter. À commencer par ses camarades, qui le raillent pour avoir voulu rejoindre une institution qu’eux souhaitaient à tout prix éviter. Mais aussi les civils. « Quand je rentrais dans le train, les gens me regardaient bizarrement. Certains pensaient que mon uniforme était un costume et je me faisais contrôler de façon disproportionnée », raconte-t-il.
Quelques mois plus tard, nouveau coup de gueule. Après une formation en graphisme, Nouh Latoui travaille dans un atelier protégé. Mais pas pour longtemps : il donne sa démission, préférant s’adonner au militantisme quitte à ne pas être payé pour bénéficier de l’Assurance-Invalidité (AI). « Je gagnais 2,5CHF de l’heure. J’étais à 80%, faisant du 7h-17h. C’est une situation d’exploitation, que je ne peux pas accepter. Le problème, c’est que les personnes handicapées ont tellement peu d’opportunités que la majorité n’ose rien dire. »
Cette force, Nouh Latoui la puise certainement dans son vécu personnel. Malgré son jeune âge, il a vécu beaucoup de choses. Il a été élevé par sa mère, son père étant parti à sa naissance car il ne voulait pas s’occuper d’un enfant avec un handicap. À l’adolescence, la fédération suisse d’unihockey lui a enlevé sa licence, ne le considérant pas comme « assez » handicapé. « On me reprochait d’avoir trop de force. Je précise que je suis paraplégique, et que je ne peux pas marcher ! Ça m’a un peu dégoûté », confie le militant.
Sur tous les fronts
« Encore plus ironique, certaines toilettes pour handicapés sont situées à l’étage, sans ascenseur bien sûr. »
Vivant de sa rente AI, il se consacre aujourd’hui pleinement à la défense des personnes en situation de handicap. Il est membre du comité de l’Association Cerebral Suisse et de la filiale vaudoise de Pro Infirmis. Mais le cheval de bataille de Nouh Latoui, c’est l’accessibilité. Il s’engage au sein de l’AVACAH, l’association vaudoise pour la construction adaptée aux personnes handicapées, avec la mission de vérifier le respect des normes en matière d’accessibilité par les établissements publics. Et à en croire Nouh Latoui, c’est loin d’être gagné. « À Lausanne, il y a encore plein de restaurants qui n’ont pas de toilettes pour handicapés. Et quand bien même, elles servent souvent de lieu de stockage ou de vestiaire pour les employés. Encore plus ironique, certaines sont situées à l’étage, sans ascenseur bien sûr », ironise-t-il non sans amertume. Sans parler des cinémas, des bars ou des boîtes, des lieux fréquemment inadaptés. Pour une personne en situation de handicap, la spontanéité semble ainsi un idéal difficilement atteignable. « Il faut toujours s’organiser. Lorsqu’on prend un train, on doit vérifier si la gare est accessible. On doit parfois s’organiser jusqu’à 24h à l’avance. Chaque fois que je vais manger quelque part, j’appelle à l’avance pour m’assurer qu’il y ait des WC handicapés. »
C’est donc tout naturellement que Nouh Latoui se lance en politique pour « s’impliquer dans les décisions ». Il rejoint la jeunesse socialiste et se présente au Conseil national lors des élections fédérales d’octobre dernier sur la liste « des personnes handicapées ». « Je pars du principe que rien ne peut être décidé sur nous, sans nous. Les personnes valides ne peuvent pas comprendre tous les enjeux auxquels nous sommes confrontés. Je ne suis pas le porte-parole des 1,7 million de personnes handicapées, je fais simplement valoir mon expérience. »
Lorsque l’Initiative pour l’inclusion est lancée, il n’hésite pas : en sa qualité de coordinateur bénévole de l'Association pour une Suisse inclusive, il tient une quarantaine de stands d’information et de récolte de signatures pour la campagne. L’occasion – malgré lui – de se confronter aux réticences de la population. « Certaines personnes disent que l’initiative est inutile, que les personnes handicapées ont trop de droits en Suisse. » Optimiste de nature, il en est convaincu : l’initiative peut ouvrir des portes et faire évoluer les mentalités. Il milite pour une Suisse qui respecte ses engagements – notamment la Convention relative aux droits des personnes handicapées de l’ONU – car encore trop de domaines sont à géométrie variable, allant du manque d’opportunités dans le milieu du travail, de la faible représentation en politique, jusqu’au choix du logement. Maintenant, mais surtout pour les générations futures.