« Je suis fière d'avoir pris une décision pour le bien-être d'une personne que j'aime », déclare Erika Bernasconi en faisant le bilan des quatorze dernières années. Celles-ci ont été marquées par une incertitude constante, par son combat contre le système de santé suisse et par son engagement infatigable pour la santé et les droits de sa fille.
Erika se souvient de 2008 comme si c’était hier, l’année où elle et son mari attendent leur premier enfant. Dès sa naissance, ils constatent que leur fille Anna est anormalement petite et qu'elle ne peut pas téter au sein correctement. « Les médecins m'ont dit que notre fille était plus petite en raison de mes origines mexicaines et qu'il y a des bébés qui ont besoin de plus de temps dans leur développement », raconte Erika. En tant que nouvelle maman, elle fait confiance au corps médical, même lorque celui-ci attribue la démarche maladroite de sa fille à l’inconfort des couches. Ou lorsqu'il veut « continuer à observer » les difficultés de la petite à tourner la tête.
Des connaissances avec un arrière-goût
Mexicaine d'origine, Erika retourne dans son pays natal avec sa famille en 2010. Une visite chez le pédiatre pousse les jeunes parents à faire examiner plus profondément la petite : « Après des examens, nous avons constaté qu'Anna avait un petit trou dans le palais, une fente palatine ». C’est donc au Mexique que la croissance et la mobilité d’Anna sont enfin observées de plus près. Erika apprend alors que les symptômes d'Anna semblent indiquer une maladie rare connue sous le nom de « syndrome de Münchhausen ». La cause en reste cependant encore incertaine. Ce moment est gravé dans la mémoire d'Erika : « La Suisse est considérée comme un pays très avancé dans le domaine médical. Pourtant, la maladie n'a été détectée qu'au Mexique. Les conséquences de ce retard ont rendu la situation catastrophique. Pour moi, en tant que mère, c'était terrible », confie-t-elle. Elle se réjouit donc que la famille ait émigré au Mexique. Après combien d'années aurait-on posé le bon diagnostic en Suisse?
La famille décide néanmoins de faire ses valises et de rentrer en Suisse après deux ans au Mexique. Elle espère qu'Anna y sera mieux examinée et traitée . Mais à peine de retour, les parents doivent sombrent dans un enfer administratif. L'assurance complémentaire de la famille n'accepte plus les personnes handicapées comme Anna, alors qu'elle y était assurée avant son séjour au Mexique – et donc avant le constat du syndrome de Münchhausen. Pour s'inscrire à l'Assurance-Invalidité (AI), la famille a besoin d'un diagnostic précis. « Mon mari a passé des heures à faire des recherches sur Internet pour trouver un diagnostic possible. » Avec une persévérance infatigable, qui a fini par payer.
Qui cherche, trouve
Une dizaine d'années plus tard, le mari d'Erika tombe via un forum sur un médecin américain, le Dr Feldmann, qui traite des enfants présentant des symptômes similaires à ceux de sa fille. Lorsque les médecins suisses, dubitatifs, finissent par refuser une coopération avec le Dr Feldmann, Erika décide sans hésiter de faire examiner Anna par vidéo. « Avec lui, nous nous sommes enfin sentis compris, car il a pu nous expliquer la maladie. Le Dr Feldmann nous a recommandé un test génétique spécifique », raconte Erika. En janvier 2022, la famille en a enfin la certitude : Anna est atteinte d'une variante particulière de l'arthogryphose multiplex congénitale. Dans ce cas, une mutation de l'acide aminé se produit dans le ventre de la mère, ce qui entraîne entre autres une raideur des articulations.
Un traitement global peut alors avoir lieu. Mais les médecins traitants à Bâle soulignent dans une prise de position adressée à l'AI que d'autres tests doivent d'abord être effectués avant qu'une opération puisse être réalisée en Suisse. En revanche, le Dr Feldmann conseille vivement à la famille d'opérer la colonne vertébrale d’Anna, car la moelle épinière est entourée d'adhérences, ce que l'on appelle une « moelle attachée ». « Anna souffrait tellement qu'elle ne pouvait plus dormir, ni aller à l'école. Elle n'avait plus de vie, et nous non plus en tant que famille », confie Erika. Elle ne veut pas perdre plus de temps : « attendre encore plus longtemps ? J'ai déjà attendu 13 ans ». Elle fait donc confiance à son instinct. « J'ai appelé le médecin au Mexique et lui ai envoyé le dossier d'Anna. Lui aussi m'a recommandé l'opération. »
Ni l'AI, ni la caisse maladie, ne prennent en charge les frais d'une opération à l'étranger, car après divers tests, l'opération aurait pu être réalisée en Suisse. Mais grâce à un don de l'Église réformée, Anna, alors âgée de treize ans, peut être opérée au Mexique dès août 2022.
Jusqu'à la limite pour la qualité de vie
Pour la première opération d'Anna, mère et fille partent pour un an à l'étranger. Erika doit laisser derrière elle son mari et son fils. Tout comme son travail. « J'ai dû quitter mon emploi à temps partiel, même si je m’y épanouissais. Il est difficile de trouver un emploi en tant qu'étrangère. » Pour Anna, qui ne peut plus aller à l’école ni voir ses camarades, il s’agit d’un tournant. « Toute sa vie a basculé ! »
Quelques mois plus tard, une autre opération a lieu à Varsovie, dans une filiale de l'institut américain où le Dr Feldmann travaille. Coût de l'opération : environ 150 000 francs suisses. Dès le début, Erika sait qu'elle veut permettre à sa fille de se faire opérer : « Nous avons sorti tout ce que nous avions. Tous les comptes d'épargne, nos économies ainsi qu'un prêt de la banque. Même si nous n'avions pas encore réuni tout l'argent, nous avons réservé la date. » Grâce à un crowdfunding, les coûts restants de l'opération et de la rééducation qui s'ensuit peuvent finalement être couverts.
L'égalité comme priorité absolue
La procédure en vaut la peine : « Anna peut retourner à l'école. Elle peut marcher sur de courtes distances. Elle peut faire du vélo et se faire des amis. Nous voyons qu'Anna est plus heureuse qu'avant. Et c'est ce qui compte », affirme Erika. Mais elle a tout de même des sentiments mitigés lorsqu'elle regarde en arrière. Car cette histoire montre clairement que l'État n'a pas rempli sa mission. La violation du droit fondamental d’accès à la santé a des conséquences lourdes: Erika et sa famille ont dû investir toutes leurs économies personnelles.
Un système qui prend en charge tout le monde de la même manière, c'est ce que demande également l'Initiative pour l’inclusion pour laquelle Erika s'engage. « Je souhaite l'égalité pour toutes les personnes. Personne ne devrait avoir à mendier ses droits. Les personnes handicapées devraient être soutenues sans qu'on leur mette des bâtons dans les roues. » Erika mesure aujourd’hui le courage dont elle a dû faire preuve « Je pense que ce courage est tout simplement de l'amour pour mon enfant. »