En application de l’obligation de discrétion, une demande d'asile est rejetée au motif qu'une personne LGBTI+ devrait dissimuler ou garder secrète son orientation sexuelle ou son identité de genre dans son pays d'origine. Ce « comportement discret » lui permettrait d'éviter une nouvelle ou une première persécution (pénale).
Les autorités examinent si un tel « comportement discret » dans le pays d'origine peut être exigé d'un·e·x requérant·e·x d'asile LGBTI+ ou si ce même « comportement discret » l'exposerait à une pression psychique insupportable au sens de l'art. 3 al. 2 LAsi1.
La jurisprudence européenne concernant l'obligation de discrétion est claire : on ne peut pas attendre de la personne en demande d'asile qu'elle garde le secret sur son orientation sexuelle pour éviter les persécutions, et ce même si elle n'a pas fait son coming out dans son pays d'origine
La jurisprudence européenne concernant est claire : on ne peut pas attendre de la personne en demande d'asile qu'elle garde le secret sur son orientation sexuelle pour éviter les persécutions, et ce même si elle n'a pas fait son coming out dans son pays d'origine
La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a déjà décidé en 2013 que l'on ne peut pas attendre des personnes LGBTI+ en fuite qu'elles cachent leur homosexualité dans leur pays d'origine ou qu'elles fassent preuve de retenue pour éviter d'être persécutées2. La Cour constitutionnelle fédérale d'Allemagne a confirmé en 2020 la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes3. La jurisprudence européenne concernant l'obligation de discrétion est claire : on ne peut pas attendre de la personne en demande d'asile qu'elle garde le secret sur son orientation sexuelle pour éviter les persécutions, et ce même si elle n'a pas fait son coming out dans son pays d'origine. En conséquence, le gouvernement fédéral allemand a publié le 01.10.2022, une instruction de service correspondante selon laquelle le « pronostic de danger » pour une personne LGBTI+ en fuite doit toujours partir du principe que celle-ci souhaite vivre ouvertement son orientation sexuelle ou son identité de genre dans son pays d'origine. Inversement, on ne peut plus attendre d'une personne en demande d'asile qu'elle se montre discret après son retour dans son pays d'origine et qu'elle mène une double vie jusqu'à la fin de ses jours4.
La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a jugé, dans une décision contraignante pour la Suisse5, que les autorités suisses n'avaient pas correctement évalué, dans le cas d'un homme homosexuel gambien, le danger auquel il serait exposé en raison de son homosexualité s'il était renvoyé en Gambie. Les parties sont d'accord sur le fait que l'orientation sexuelle est un aspect fondamental de l'identité et que personne ne peut être contraint de cacher son orientation sexuelle afin d'échapper à des poursuites.
Enfin, le SEM précise dans son propre manuel Asile et retour6 , que le rejet d'une demande d'asile fondée sur des motifs liés à l'orientation sexuelle ou à l'identité de genre ne doit pas être motivé par l'argument selon lequel une personne LGBTI+ pourrait échapper à toutes les persécutions qui la menacent ou s'y soustraire si elle adoptait un mode de vie moins visible ou plus « discret ».
Néanmoins, dans la jurisprudence actuelle du Tribunal administratif fédéral (TAF), on trouve toujours des considérations selon lesquelles on peut raisonnablement exiger d'une personne requérante d'asile homosexuelle qu'elle vive son orientation sexuelle et sa relation avec une personne du même sexe en cachette afin d'échapper à une persécution imminente7. En d'autres termes, le fait de vivre son homosexualité en cachette jusqu'à la fin de sa vie et de mener une double vie ne constitue pas une pression psychique insupportable au sens de l'art. 3 al. 2 LAsi8 pour la personne concernée. En revanche, on ne peut raisonnablement exiger d'un homme trans* qui a déjà subi des opérations de réassignation sexuelle en Suisse qu'il vive à nouveau dans le rôle d'une femme dans son pays d'origine et qu'il dissimule les interventions chirurgicales. Inversement, les explications du Tribunal administratif fédéral signifient également qu'il aurait été raisonnablement exigible de ce même homme trans de vivre à nouveau dans le rôle d'une femme dans son pays d'origine et de réprimer sa propre identité de genre si les opérations de réassignation sexuelle, en tant que mesures irréversibles, n'avaient pas encore eu lieu au moment de la décision9.
La pratique suisse concernant l’obligation de discrétion est donc toujours en contradiction avec la jurisprudence européenne ainsi qu'avec sa propre directive interne.
La pratique suisse concernant l’obligation de discrétion est donc toujours en contradiction avec la jurisprudence européenne ainsi qu'avec sa propre directive interne. Les autorités suisses sont tenues de ne plus appliquer l’obligation de discrétion aux demandeur·euse·x·s d'asile LGBTI+. Lors de l'examen de la demande d'asile, il faut plutôt partir du principe qu'une personne LGBTI+ souhaite vivre ouvertement son orientation sexuelle ou son identité de genre dans son pays d'origine.
2 CJUE, arrêts v. 7.11.2013, affaires C 199/12 à C 201/12 - X et autres, dispositif et point 71
3. BVerfG, décision du 22.01.2020, 2 BvR 1807/19, point 2
4 Voir aussi : https://www.lsvd.de/de/ct/9073--6-monate-neue-dienstanweisung-asyl; https://www.lsvd.de/de/ct/6009-Asylrecht-Bei-homo-und-bisexuellen-Gefluechteten-darf-nicht-von-diskretem-Leben-ausgegangen-werden (consulté le 16.10.2023)
5 CEDH, décision pour la Suisse du 17 novembre 2020, B. et C. c. Suisse - 889/19 ; 43987/16.
6 Manuel Asile et retour SEM, Art. 12.1 Les persécutions liées au genre, p.9