> AMNESTY Il est essentiel de mettre en lumière les expériences des femmes musulmanes et celles portant le foulard, qu’il dissimule le visage ou non, en Suisse. Meriam, quelle est la situation des femmes musulmanes dans notre pays ?
< Meriam Mastour : La situation des femmes musulmanes en Suisse est très variée : il existe des femmes musulmanes qui portent le foulard, d’autres non. Quelques-unes d’entre elles portent un niqab (ce qu’on appelle burqa). Pour celles qui portent un foulard, on observe des difficultés à accéder à certains services qui sont censés être publics (comme les piscines par exemple), à participer à des compétitions sportives par « manque d’équipements », ou à accéder à des emplois : on l’a vu avec la loi sur la laïcité à Genève qui exclut le fait de pouvoir travailler en portant un signe « religieux ». Une loi qui concerne autant des personnes qui sont derrière un bureau que des femmes de ménage ou des nounous. Les violences et insultes dans la rue sont malheureusement également une réalité pour beaucoup de femmes musulmanes en Suisse.
> Qu’est-ce qui vous a personnellement motivée à vous engager contre cette initiative ?
< Les Foulards Violets sont nés avant le 14 juin 2019, suite à l’appel des Grèves féministes à s’engager. Ce dernier disait en substance : « on a des revendications générales, mais c’est important que les groupes minoritaires avec des revendications particulières s’engagent également pour expliciter ces enjeux spécifiques ». En tant que femmes musulmanes, nous devions traiter la question du foulard. Le collectif s’est créé quelques mois après que la loi sur la laïcité ait été acceptée à Genève, une loi clairement discriminatoire. Cela a été un choc de se dire qu’à Genève on peut être exclues du Parlement, de l’Exécutif, du domaine de l’emploi, de l’espace public. En tant que femme il y a déjà tellement de choses à régler, tellement d’enjeux. Et dorénavant, en tant que femmes musulmanes, on peut nous retirer des droits fondamentaux. Après la Grève, avons décidé de continuer à thématiser le sujet du foulard. Puis est arrivée l’initiative anti-burqa. Si aucune d’entre nous ne portent la burqa, en faisant des recherches sur le sujet on s’est rendues compte que cette initiative était un fourre-tout de sexisme, de racisme, d’islamophobie. Nous sommes tou·te·s concerné·e·s.
> Si elle devait passer, de quelle façon cette initiative pourrait affecter les femmes musulmanes?
< Avant même le lancement de l’initiative, tous ces débats dans les médias, dans les espaces publics sont vécus comme des violences par les communautés musulmanes. Cela avait déjà été le cas avec la votation sur les minarets. Nous faisons face à du racisme banalisé. Si de fortes similitudes existent aujourd’hui, nous avons pris conscience avec cette campagne de l’énorme front féministe et de gauche qui soutient le Non et ce, même si les médias aiment à dire que les féministes et la gauche sont divisés. C’est important pour les populations musulmanes et minoritaires de Suisse de voir que tout le monde ne fonce pas dans le populisme et l’instrumentalisation.
Si l’initiative devait passer, concrètement, les 20-30 femmes qui portent la burqa aujourd’hui ne pourront plus porter un tissu devant leur bouche mais elles pourront toujours porter un masque et la Constitution contiendra désormais un article qui stigmatise une population en particulier. Nous sommes des citoyennes comme les autres.
> Cette initiative aiderait soi-disant à l’émancipation de certaines femmes. Est-ce un argument qui a du sens pour vous ?
On dit qu’on veut libérer les femmes, les sauver et, pour ce faire, on va leur envoyer la police et leur mettre des amendes. Quel genre d’État de droit fait ça ? Quelle est cette méthode de criminaliser les victimes ?
En France, la burqa est interdite depuis dix ans. Une sociologue s’est penchée sur la question et a pu observer que le nombre de personnes portant la burqa a explosé depuis dix ans. Concrètement, on sait que l’interdiction va faire augmenter le nombre de personnes portant la burqa. Deuxièmement, les études en Suisse montrent que les femmes qui portent la burqa chez nous sont en général des femmes converties qui le portent librement, parfois contre l’avis de leur famille et conjoint.
La burqa et le foulard ne sont que des vêtements : en général, les femmes le portent pendant une période de leur vie, chacune choisit de le mettre ou l’enlever pour des raisons différentes. À un moment, il faut être rationnel·le et regarder les chiffres et les études, et ne pas se laisser guider par les émotions.
> Une dernière question : une femme voilée est-elle forcément anti-féministe ?
< Pas du tout. Je pense que c’est vraiment méconnaître ce que c’est être féministe, et les différents courants du féminisme. Des femmes musulmanes se réapproprient des textes, déjà au sein de leur propre religion, prennent les choses en main. Les femmes musulmanes sont des femmes comme les autres, et vivent des enjeux qui concernent toutes les femmes (égalité salariale, AVS, etc). Il est évident que l’on peut être féministe et porter ce qu’on veut sur la tête, embrasser la religion que l’on souhaite. Énormément de femmes musulmanes se disent féministes.
Le collectif des Foulards Violets est basé à Genève et composé de femmes musulmanes ou non, portant le foulard ou non, solidaires avec celles qui ont décidé de le porter. Le collectif s’est fortement investi dans la campagne contre l’initiative pour l’interdiction de dissimuler le visage.