37’000 personnes ont signé la pétition d'Amnesty International réclamant un nouveau droit pénal en matière sexuelle. Ici, une action devant le Palais fédéral. ©AI/Philipe Lionnet
37’000 personnes ont signé la pétition d'Amnesty International réclamant un nouveau droit pénal en matière sexuelle. Ici, une action devant le Palais fédéral. ©AI/Philipe Lionnet

Mettre fin aux violences sexuelles ! 37’000 personnes réclament un nouveau droit pénal en matière sexuelle

Communiqué de presse publié le 28 novembre 2019, Berne-Genève. Contact du service de presse
Dans le cadre des 16 jours d'activisme pour mettre fin à la violence faite aux femmes et six mois exactement après la publication d’une étude révélant l’ampleur des violences sexuelles en Suisse, Amnesty International a remis à Berne sa pétition «Justice pour les personnes qui ont subi des violences sexuelles». Près de 37'000 personnes et 37 organisations réclament des mesures efficaces contre les violences sexuelles à l'égard des femmes et une réforme du droit pénal en matière de sexualité.

De nombreux militant·e·s et sympathisant·e·s ont demandé à la Conseillère fédérale Karin Keller-Sutter et au Parlement nouvellement élu de modifier la définition du viol et de la contrainte sexuelle dans le Code pénal suisse. «La sexualité requiert le consentement de chaque personne impliquée. Tout acte sexuel non consenti doit enfin pouvoir être puni de manière appropriée», a déclaré Manon Schick, directrice générale d'Amnesty Suisse, lors de la remise de la pétition.

Des militant·e·s vêtu∙e∙s de noir et maquillé·e·s d’une empreinte de main rouge sur la bouche ont attiré l'attention sur le fait que de nombreuses victimes de violences sexuelles n'ont aujourd'hui aucune chance devant les tribunaux en raison d'une définition obsolète et trop étroite du viol, et que les auteur∙e∙s de violences sexuelles restent souvent impuni∙e∙s. Avec de grandes banderoles et des affiches les militant·e·s ont fait valoir des revendications telles que : «SEUL UN OUI EST UN OUI» ou «LE SEXE NON CONSENTI EST UN VIOL. CHANGEZ LA LOI !».

«Le droit pénal sexuel actuel met beaucoup trop l’accent sur la violence de l’auteur et le comportement de la victime au lieu de se concentrer sur l'existence d'un consentement mutuel.» Agota Lavoyer de Lantana, un service d’aide aux victimes d’agressions sexuelles

Diverses associations et organisations de défense des droits des femmes, dont Alliance F, Santé sexuelle Suisse et Terre des femmes Suisse soutiennent la pétition d’Amnesty International. Divers centres d'aide aux victimes et 22 professeur·e·s de droit pénal suisses exigent également une réforme du droit pénal sexuel axée sur le principe du consentement.

Des victimes livrées à elles-mêmes

«Le droit pénal sexuel actuel met beaucoup trop l’accent sur la violence de l’auteur et le comportement de la victime au lieu de se concentrer sur l'existence d'un consentement mutuel. Aujourd'hui, l'agresseur doit avoir contraint la victime pour qu'une agression sexuelle soit légalement considérée comme un viol. Pourtant, une grande partie des femmes que nous conseillons ont été victimes d'agressions sexuelles au cour desquelles l'agresseur n'a pas eu recours à la violence physique. Elles n'ont souvent aucune chance d’obtenir justice devant les tribunaux», a déclaré Agota Lavoyer de Lantana, un service d’aide aux victimes d’agressions sexuelles.

«La façon dont la société traite les violences sexuelles est très contradictoire. D'une part, il semble y avoir un consensus public sur le fait qu’un acte sexuel contre la volonté d'une personne constitue une violence qui devrait être punie de façon appropriée. D'autre part, on s’appuie sur le droit pénal sexuel actuel pour faire une distinction entre «vrai» et «faux» viol. Cela a des conséquences dévastatrices pour les personnes concernées. Elles sont dévalorisées et rendues coresponsables parce qu'elles ne se seraient pas suffisamment défendues contre l'agression», a déploré Agota Lavoyer.

Le Conseil fédéral et le Parlement doivent agir

«La définition du viol et de la contrainte sexuelle en droit pénal suisse est obsolète et doit être révisée d'urgence. Cette définition est contraire aux normes internationales et à la Convention d'Istanbul du Conseil de l'Europe, à laquelle la Suisse est également partie », a déclaré Barbara Berger, directrice générale de Santé sexuelle Suisse.

«Ce n'est pas aux femmes de se protéger contre les violences sexuelles. Il incombe au Parlement et aux autorités d'élaborer des lois qui permettent aux victimes de violences sexuelles d'obtenir justice et d'être traitées avec respect. Une réforme enverrait également un important signal préventif aux jeunes: à savoir qu’il faut un consentement mutuel avant chaque acte sexuel», a expliqué Barbara Berger.

Pétition à la Conseillère fédérale Karin Keller-Sutter

«Malgré les revendications publiques, le Conseil fédéral n'a pas dévié de sa position et continue de soutenir qu'une nouvelle définition du viol n'est pas nécessaire. Nous espérons que le nouveau Parlement, avec une plus forte représentation de femmes, établira des priorités différentes et s'attaquera à une véritable révision de cette loi dépassée », a ajouté Manon Schick.

«Nous espérons que le nouveau Parlement, avec une plus forte représentation de femmes, établira des priorités différentes et s'attaquera à une véritable révision de cette loi dépassée » Manon Schick, directrice générale d'Amnesty Suisse

Avec sa pétition, Amnesty International demande à la Conseillère fédérale Karin Keller-Sutter et au Département fédéral de justice et police de présenter des propositions de réforme du droit pénal afin que tous les actes sexuels sans consentement puissent être punis de manière adéquate. La pétition demande également la formation obligatoire et continue des magistrat∙e∙s, de la police et des avocat∙e∙s à la prise en charge des victimes de violences sexuelles, ainsi qu’une collecte systématique de données et des études sur le traitement des infractions contre l’intégrité sexuelle dans le système judiciaire suisse.

Nombre choquant de cas non signalés

En mai dernier, l'enquête de gfs.bern, réalisée sur mandat d’Amnesty International, fournissait des données précises sur la prévalence du harcèlement sexuel et d’autres formes de violences sexuelles en Suisse. Les résultats de l’enquête contenaient des chiffres choquants : 22% des femmes en Suisse ont déjà subi des actes sexuels non consentis, 12% ont eu un rapport sexuel contre leur gré. Et seulement 8% ont porté plainte auprès de la police après l’agression sexuelle.

La Convention d'Istanbul, soit la convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, est entrée en vigueur en Suisse en avril 2018. Selon cette convention, le viol et tout acte sexuel avec une autre personne sans son consentement doivent être érigées en infractions pénales (art. 36). Le Comité GREVIO du Conseil de l'Europe, qui suit la mise en œuvre de la Convention d'Istanbul dans les pays membres, se rendra en Suisse en 2021. Les précédents rapports nationaux du GREVIO suggèrent que le droit pénal suisse en matière de sexualité n'est pas conforme aux normes internationales relatives aux droits humains et qu’il doit donc être adapté. Une analyse juridique d’Amnesty International arrive à cette même conclusion