Amnesty appelle le Parlement suisse à considérer toutes les formes de rapports sexuels non consentis en tant que viols et à réviser les articles 189 (contrainte sexuelle) et 190 (viol) du code pénal en conséquence. Jusqu'à présent, la commission juridique du Conseil des États a fait un pas important en élaborant deux propositions pour les articles 189 et 190. Dans les deux variantes, la contrainte serait supprimée en tant qu'élément constitutif obligatoire de l'infraction ; dans la variante actuellement privilégiée par la majorité de la commission, les actes sexuels "contre la volonté" d'une personne seraient punis (non c'est non), dans la deuxième variante il s’agit de ceux "sans le consentement" (seul un oui est un oui). Le Conseil des États en discutera lors de la session d'été 2022. Une réforme contemporaine du droit pénal sexuel basée sur le principe du consentement bénéficie d'un large soutien, notamment de la part de professeur·e·x·s de droit pénal, d’avocat·e·x·s de victimes et centres d’aide aux victimes. Des critiques ont été exprimées entre autres par des avocat·e·x·s de la défense. Diverses allégations circulent sur le principe du consentement (seul un oui est un oui) en droit pénal sexuel. Il y a des mises en garde contre un «renversement du fardeau de la preuve», «l'abolition de la présomption d'innocence» ou même la «fin de l'État de droit». D'autres voient déjà «l'avocat au lit». Une clarification s’impose.
Allégation 1: «La personne accusée devra prouver son innocence (renversement du fardeau de la preuve)»
Allégation 2: «De toute façon, il s'agira toujours d'un témoignage contre un autre – un tel acte est impossible à prouver»
Allégation 3: «La mise en œuvre de cette revendication marquerait la fin de l'État de droit»
Allégation 4: «Il va y avoir une augmentation de fausses accusations»
Allégation 5: «Il faut établir un contrat avant le sexe, au mieux à travers une App»
Allégation 6 : «Notre situation juridique actuelle suffit. Entre le moment où l’on dit « non » et l'acte sexuel, il y a nécessairement un acte de contrainte (tenir avec force, menacer, exercer une pression psychologique). Selon la loi actuelle, c'est déjà un viol.»
Allégation 7 : «Amnesty, en tant qu'organisation de défense des droits humains, n'a rien à voir avec cette question.»
Allégation 1: «La personne accusée devra prouver son innocence (renversement du fardeau de la preuve)»
Le fait est que la personne accusée n'aura rien à prouver. C’est au ministère public de prouver la culpabilité de l'auteur·e·x. Chaque personne restera considérée comme innocente jusqu'à ce que le tribunal puisse prouver sa culpabilité. Le principe «in dubio pro reo» (le doute profite à l’accusé·e·x) n'est pas remis en cause. S'il subsiste des doutes sur le déroulement des événements, l'accusé·e·x sera acquitté·e·x. Personne n'exige de renoncer à la présomption d'innocence. La réforme vise simplement à ce qu’une peine appropriée puisse être prononcée dans les cas où le tribunal considère qu'il est prouvé que l'accusé·e·x a agi sans le consentement de la victime. Ce n'est pas toujours le cas à l'heure actuelle.
Allégation 2: «De toute façon, il s'agira toujours d'un témoignage contre un autre – un tel acte est impossible à prouver»
A l’heure actuelle, lors d’infractions sexuelles, les témoignages des victimes constituent déjà souvent le moyen de preuve principal et parfois même l’unique preuve. Juger la crédibilité des déclarations fait partie du quotidien professionnel des autorités judiciaires. Les autorités de poursuite pénale disposent de méthodes établies pour mener à bien cette tâche. À cet effet, elles utilisent notamment les connaissances et les méthodes de la psychologie des déclarations. Dans des cas particulièrement difficiles, il est également possible de faire recours à des spécialistes. Et s'il n'est pas possible de clarifier suffisamment ce qui s'est exactement passé, le principe «in dubio pro reo» continuera de s'appliquer. Cela signifie que le difficile établissement des preuves ne sera jamais au désavantage de la personne accusée. Il en est déjà ainsi aujourd’hui: même l’usage de la violence ne laisse pas toujours des traces évidentes, une menace encore moins, et pourtant nous croyons les autorités de poursuite pénale capables d’élucider les infractions et de les poursuivre. En Suède, où une solution de consentement a été introduite en 2018, l'établissement des preuves n'a pas fondamentalement changé.
Allégation 3: «La mise en œuvre de cette revendication marquerait la fin de l'État de droit»
Celles et ceux qui affirment cela devraient donc également être d'avis que l'État de droit a été aboli dans des pays tels que la Grande-Bretagne, la Belgique, l'Allemagne et la Suède. Dans treize pays de l'espace économique européen, un rapport sexuel sans le consentement ou contre la volonté du / de la partenaire est déjà défini comme un viol. Dans d'autres pays (dont entre autres l'Espagne et les Pays-Bas), des réformes similaires sont en cours. Leur objectif est de rendre davantage justice aux victimes de violences sexuelles et de réduire l'impunité pour les crimes sexuels. En outre, une modification du code pénal vise à préciser clairement que la société ne tolère pas les actes sexuels non consentis et les considère comme une grave injustice. Une enquête représentative menée par gfs.bern pour le compte d'Amnesty International a révélé un niveau choquant de violences sexuelles faites aux femmes en Suisse. Selon l'étude, au moins une femme sur cinq âgée de 16 ans et plus a été victime d'agression sexuelle et plus d'une femme sur dix a déjà eu un rapport sexuel contre son gré. Selon cette enquête, 84% des femmes soutiennent la revendication d'Amnesty selon laquelle toute pénétration sexuelle sans consentement mutuel doit être qualifiée de viol.
Allégation 4: «Il va y avoir une augmentation de fausses accusations»
Il s'agit là aussi d'une affirmation qui n'a pas été prouvée empiriquement. Elle repose sur un mythe particulièrement persistant fondé sur des stéréotypes sexistes («les femmes aiment se venger») et qui mène à ce que les victimes de violences sexuelles soient presque systématiquement traitées avec méfiance. En réalité, les personnes concernées doivent faire preuve de beaucoup de courage et de force pour dénoncer une agression à la police. Une procédure pénale est souvent un énorme poids pour la victime: il n’est pas rare que l’accusé·e·x, voire l’autorité de poursuite pénale, mette en cause de façon blessante sa personne, sa réputation et sa crédibilité. À travers des questions et des reproches, on donne souvent l’impression aux victimes d’infractions sexuelles qu’elles sont elles-mêmes coupables de l’agression ou du moins coresponsables. Cette façon de procéder est en partie due à la nature même de la poursuite pénale, mais constitue parfois une pression inutile exercée sur les personnes concernées en raison des mythes sur le viol profondément ancrés dans notre société.
L'argument du danger de fausses accusations est toujours avancé lorsqu'il s'agit de réviser le droit pénal en matière sexuelle, le plus souvent sans faire référence à aucune base empirique qui permettrait d'étayer ces affirmations. Oui, il y a de fausses accusations, c'est indéniable. Mais ce risque existe pour tous les types d'infractions et ces fausses déclarations sont aussi punissables. Le «danger» (clairement surestimé) des fausses accusations ne dépend de toute façon que partiellement de la manière dont l’infraction est formulée. Des études montrent que les fausses accusations (présumées) se construisent souvent sur le stéréotype du « vrai » viol et rendent compte de l'usage de la violence. Autrement dit, les fausses accusations décrivent des comportements qui sont considérés comme des viols même dans les systèmes juridiques les plus strictes. En d'autres termes, de fausses accusations sont toujours possibles, peu importe que la définition d'une infraction soit étroite ou non.
Les témoignages des personnes ayant subi des violences sexuelles devraient être traités de la même manière que les témoignages des victimes d’autres délits. Amnesty n’exige pas que l’on croie systématiquement les personnes concernées, ni que la présomption d’innocence soit abolie ou qu’une inversion du fardeau de la preuve soit établie. Amnesty exige simplement que l’on traite les victimes d’abus sexuels avec respect. Cela implique en premier lieu d’écouter les personnes concernées sans préjugés, d’examiner soigneusement leurs déclarations et leurs accusations, et de leur donner le soutien auquel elles ont droit. Ni plus ni moins.
Allégation 5: «Il faut établir un contrat avant le sexe, au mieux à travers une application»
Non, ce n’est définitivement pas nécessaire. On peut également laisser sans crainte l’avocat∙e dans son bureau. Ni une application ni un contrat n'ont de sens. Parce que le consentement à un acte sexuel doit pouvoir être révoqué à tout moment– ce que l’on ne peut naturellement pas faire avec une application. D'ailleurs, ce ne serait de toute façon pas la bonne approche: il s'agit de communication, qu’elle soit verbale ou non verbale. Rien ne change dans le jeu érotique entre partenaires adultes. Si les partenaires gardent par exemple le silence avant ou pendant le rapport sexuel mais qu'ils/elles y participent pleinement, on parle de comportements signalant un accord tacite, ce qui correspond au consentement. A ce moment-là, les partenaires veulent du sexe et il ne peut pas être question d'une agression. Si l’une des personnes change d'avis durant l’acte, elle doit le communiquer d'une manière ou d'une autre à son/sa partenaire et montrer que son «oui» initial n'est plus valable.
L’essentiel – qui devrait être tenu pour acquis – est que seul le sexe pleinement consenti est acceptable. Heureusement, pour la plupart des gens, cela est déjà tout à fait clair et la chose la plus normale au monde, et c’est également ce qui est attendu par la majorité des personnes en Suisse, comme le montre une nouvelle enquête menée par gfs.bern en 2022. Mais il y a malheureusement des exceptions. Selon les résultats de l'enquête, près d’une personne sur cinq interprète un consentement donné une fois par le passé comme étant un consentement à un rapport sexuel présent. Une personne sur dix pense qu’il s’agit d’un consentement si la personne dort et est sinon toujours consentante. Une personne sur dix pense que dans certaines circonstances, il est acceptable d’avoir un rapport sexuel avec sa ou son partenaire, sans qu’elle ou il n’y ait consenti . Une étude réalisée auparavant dans l'UE a révélé que plus d'un·e·x répondant·e·x sur quatre estime qu’un rapport sexuel sans consentement peut être justifié dans certaines circonstances – par exemple, lorsque la victime est ivre ou sous l'influence de drogues, qu’elle rentre volontairement chez elle avec quelqu'un, qu’elle est habillée de façon légère, qu’elle ne dit pas clairement «non» ou qu’elle ne résiste pas physiquement. C’est pourquoi il faut un travail d'éducation et de prévention et un droit pénal moderne qui fixe des limites claires.
Allégation 6 : «Notre situation juridique actuelle suffit. Entre le moment où l’on dit « non » et l'acte sexuel, il y a nécessairement un acte de contrainte (tenir avec force, menacer, exercer une pression psychologique). Selon la loi actuelle, c'est déjà un viol.»
Ceci est également faux: un «non» explicite n'est pas suffisant en Suisse selon la jurisprudence du Tribunal fédéral (voir la décision 6B_912/2009 du Tribunal fédéral du 22 février 2010.
Les avocat∙e∙x∙s et les centres d’aide aux victimes évoquent régulièrement les difficultés que rencontrent actuellement les personnes concernées lorsqu’elles saisissent la justice. Souvent, ils doivent expliquer aux personnes concernées qu’une plainte n’a pas de chance d’aboutir parce qu’il n’y a pas eu suffisamment de pression psychique, de violence ou de menace et que, par conséquent, le cas ne correspond pas à la définition actuelle du viol ou de la contrainte sexuelle du Code pénal. Actuellement, au cours des interrogatoires et dans la salle d’audience, l’accent est mis sur la question de savoir si la personne accusée a eu recours à un moyen de contrainte. Si la personne a agi sans le consentement de la victime ou ignoré un «non» explicite de sa part, mais n’a pas utilisé de moyen de contrainte comme la violence ou la menace, l’infraction ne peut pas être punie comme un viol ou une contrainte sexuelle. Trop peu d’importance est accordée à la question de savoir s’il y a eu un consentement mutuel pour les actes sexuels.
Les avocat·e·x·s et les centres d'aide aux victimes disent que de nombreuses personnes qui ont eu un rapport sexuel non consenti contre lequel elles ne se sont pas physiquement défendues, craignent qu'on ne les croie de toute façon pas au poste de police ou au tribunal. Les femmes qui ne se sont pas (suffisamment) défendues sont souvent considérées comme étant en partie responsables de l’agression. C'est une autre des raisons pour lesquelles le code pénal devrait établir de manière claire et non ambigüe que c’est l'absence de consentement qui est l’injustice centrale et non un certain degré de violence.
Allégation 7 : «Amnesty, en tant qu'organisation de défense des droits humains, n'a rien à voir avec cette question.»
Le fait est que le viol et les autres agressions sexuelles constituent une atteinte grave à l'intégrité physique et à l'autodétermination sexuelle des victimes. Les normes internationales et régionales en matière de droits humains obligent la Suisse à prendre des mesures pour protéger les personnes contre les violences sexistes, à enquêter sur toutes les violations de l'intégrité sexuelle et à les sanctionner, ainsi qu’à accorder des indemnisations aux victimes. D'où notre engagement pour cette cause.