© Alliance suisse contre les SLAPP
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Procédures-bâillons Une menace à la liberté d’expression

Février 2024
En Suisse, comme en Europe et aux États-Unis, les pressions judiciaires contre des ONG et des journalistes d’investigation se multiplient. En réponse aux enquêtes critiques à leur encontre, des multinationales, des institutions gouvernementales, des politicien·ne·x·s ou des oligarques menacent de lancer ou ouvrent toujours plus d’actions en justice. Les SLAPP, ou « procédures-bâillons », constituent une menace importante à la liberté d’expression.

Les procédures-bâillons, également connues sous le nom de SLAPP (Strategic Lawsuit Against Public Participation  poursuites stratégiques contre la participation publique), sont des actions en justice intentées non pas dans le but de remporter un litige légitime, mais plutôt dans le dessein d'intimider, de museler ou de punir les personnes qui cherchent à participer et à s'exprimer sur des questions d'intérêt public. Ces procédures visent le plus souvent les médias, les ONGs ou les membres de la société civile.

Étouffer toute critique et contestation

Les SLAPP ont un puissant effet dissuasif : lorsque des journalistes ou organisations enquêtent sur les malversations de puissants groupes de sociétés par exemple, et dénoncent leur implication dans des violations de droits humains ou de destruction de l’environnement, les entreprises concernées tentent de les faire taire en recourant de façon abusive aux procédures-bâillons. Elles tentent d’abord d’empêcher la publication des rapports, ou déposent des plaintes pour diffamation, qui sont longues et coûteuses pour les auteur·ice·x·s des rapports. La simple menace d'intenter des actions en justice suffit parfois à produire l'effet désiré, à savoir mettre un terme aux enquêtes et reportages de journalistes ou chercheur·euse·x·s des ONGs, empêchant par là même l’activisme de la société civile.

Multiplication exponentielle des SLAPP

La Commissaire aux droits humains du Conseil de l'Europe a observé en 2021 que, bien que les poursuites-bâillons ne soient pas un phénomène nouveau, l'ampleur du problème s'accroît et constitue une menace importante pour la liberté d'expression.

La coalition européenne CASE, qui regroupe plus de 110 organisations, montre également dans son rapport révisé (PDF, 23p.) en 2023 que les SLAPP continuent de se multiplier en Europe :

Diagramm SLAPP-Klagen

 CASE-recorded SLAPP legal cases from 2010 to 2022 © CASE coalition

Les SLAPP en Suisse

En Suisse également, les ONGs ne sont pas épargnées par les procédures-bâillons, et la tendance va en s’augmentant, car les entreprises ne craignent plus de ternir leur image en lançant de telles procédures. Un sondage (PDF, 5p.) mené par l’EPER en 2022 auprès de 11 organisations non gouvernementales a montré que, ces dernières années, le nombre de plaintes et menaces de plainte faisant suite à la publication de reportages critiques a fortement augmenté dans notre pays.

Alors qu’entre 2000 et 2010, seules deux menaces de plainte ont été comptabilisées, les organisations non gouvernementales sondées ont été confrontées à 17 actes judiciaires d’intimidation depuis 2010. En outre, depuis 2018, une dizaine de plaintes ont été déposées – dont plusieurs passeront devant les tribunaux en 2024.

Nouvelle coalition en Suisse

En 2023, une nouvelle alliance d’ONG et de professionnels des médias, à laquelle Amnesty s’est jointe, a été créée. Elle souhaite sensibiliser le public suisse au fait que les acteurs économiques intentent de plus en plus de procédures-bâillons dans notre pays également. L'association s'engage notamment en faveur d’une meilleure législation afin de mettre un frein suffisamment tôt à de telles procédures judiciaires.

Pourquoi Amnesty International s’engage-t-elle contre les SLAPP ?

Amnesty s’engage sur ce thème parce que les procédures-bâillons portent atteinte à plusieurs principes fondamentaux des droits humains, tels que la liberté d'expression, le droit à un procès équitable, et le droit à la participation politique.

Atteinte à la liberté d’expression

En restreignant la liberté d'expression et la liberté de la presse, consacrées notamment par l'article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ("PIDCP") et l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, les procédures-bâillons portent atteinte aux droits fondamentaux. Ces conventions garantissent le droit d'exprimer librement des idées et des opinions de toute nature, y compris le droit de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées. Les SLAPP entravent la libre expression des opinions et permettent d'empêcher la diffusion de l'information par des procès d'intimidation. Elles restreignent donc les personnes qui expriment des opinions critiques sur des sujets d'intérêt public et qui ont un rôle important à jouer en tant que gardien·ne·x·s de l'ordre public.

La Déclaration des Nations unies sur les défenseur·e·x·s des droits humains affirme que tous les États doivent protéger le droit de rechercher, d'obtenir, de recevoir et de détenir des informations relatives aux droits humains, de communiquer ces informations à d'autres personnes et de veiller à ce que les médias, les ONG et les membres de l'espace civique puissent exercer ce droit sans crainte de représailles.

Atteinte au droit à un procès équitable

Le droit à un procès équitable est inscrit dans de nombreux textes internationaux tels que la Déclaration universelle des droits de l'homme et la Convention européenne des droits de l'homme.

Or les procédures-bâillons constituent un recours abusif aux procédures judiciaires et placent la partie attaquée dans une position difficile. Elles obligent la partie visée par la plainte à consacrer d'énormes ressources financières et temporelles pour se défendre, créant ainsi un déséquilibre dans le processus judiciaire. De plus, en jetant le discrédit sur les défenseur·e·x·s des droits humains, les procédures-bâillons réussissent souvent à détourner l'attention de la question des droits humains ou des dégâts à l’environnement en se focalisant sur la diffamation.

Les États ont l'obligation non seulement de respecter le droit à la liberté d'expression, mais aussi de veiller à ce que les droits de tous les individus relevant de leur juridiction soient protégés contre toute ingérence arbitraire de la part de parties privées.

Atteinte au droit à la participation politique

Les personnes et les organisations peuvent être découragé·e·x·s de participer au débat public, de critiquer les entreprises, les politiques gouvernementales ou de s'exprimer sur des questions importantes si la menace de procédures-bâillons persiste. Une menace à prendre au sérieux, car elle peut compromettre le droit à la participation politique et le débat démocratique.