En novembre 2020, l’initiative pour des multinationales responsables a été adoptée par la majorité du peuple, mais n’a pas obtenu la majorité des cantons. Il n’existe donc toujours pas de réglementation forte et efficace sur la responsabilité des multinationales dans notre pays. Un contre-projet à l’initiative est entré en vigueur début 2022, mais il ne fait qu’inciter les multinationales à produire davantage de brochures sur papier glacé. Entre-temps, l’Union européenne s’est dotée d’une réglementation contraignante. La Suisse est à la traîne. Il est temps d’agir. La nouvelle initiative populaire permet d’augmenter la pression sur nos autorités et le parlement.
Législation contraignante au sein de l'Union Européenne(UE)
En mai 2024, l’Union européenne s’est dotée d’une législation contraignante sur la responsabilité des multinationales. Cette directive oblige les multinationales de tous les pays de l'Union européenne à respecter les droits humains et les normes environnementales dans leurs activités commerciales et à réduire leurs émissions nocives pour le climat. Le respect de ces obligations sera contrôlé, dans chaque pays, par une autorité de surveillance nationale habilitée à prononcer des amendes. Par ailleurs, les victimes de violations des droits humains et de dégâts environnementaux pour lesquels des multinationales qui ont leur siège dans l’UE sont responsables, pourront intenter une action devant un tribunal pour obtenir des réparations.
CE QUE PRÉVOIT LA DIRECTIVE EUROPÉENNE SUR LA RESPONSABILITÉ DES MULTINATIONALES (CSDDD)
La nouvelle directive s’applique à toutes les grandes multinationales dont le siège se trouve dans un pays de l’UE, qui emploient plus de 1’000 personnes dans le monde et qui réalisent un chiffre d’affaires d’au moins 450 millions d’euros. Elle comprend les quatre éléments suivants :
Devoir de vigilance
Les multinationales doivent veiller à ne pas violer les droits humains et les normes environnementales dans le cadre de leurs activités commerciales. Cela concerne par exemple l’achat de matières premières ou la distribution de pesticides hautement toxiques.
Obligations climatiques
Les multinationales doivent élaborer un plan pour concilier leurs activités commerciales avec l’objectif des accords de Paris sur le climat et mettre ce plan en œuvre. Elles doivent prendre en compte leurs émissions directes et indirectes.
Surveillance
L’UE prévoit la mise en place, dans chaque État membre, d’une surveillance indépendante qui contrôle le respect des obligations prévues par la directive et qui, en cas d’infraction, peut ordonner le rétablissement de l’ordre légal et/ou infliger des amendes en fonction du chiffre d’affaires.
Responsabilité civile
Si une violation du devoir de vigilance entraîne un dommage, les victimes doivent avoir la possibilité de demander des réparations à la multinationale concernée. Dans certains cas, l’UE prévoit également une responsabilité pour les dommages causés par les fournisseurs.
La directive est entrée en vigueur en juillet 2024 et les États-membres de l’UE doivent la transposer dans leur droit national dans un délai de deux ans.
La situation en Suisse
En 2020, le peuple a dit oui à l’initiative des multinationales responsables. Bien qu’acceptée par une majorité de 50,7% des citoyen·ne·x·s, elle a échoué à la majorité des cantons.
Cette initiative a été soutenue par une large alliance d’organisations de la société civile (dont Amnesty International), de politicien·ne·x·s de tous les partis, de représentant·e·x·s de l’économie et par les Églises. Des milliers de bénévoles se sont engagé·e·x·s dans tout le pays lors de la campagne en votation.
Le contre-projet du Conseil fédéral à notre initiative, entré en vigueur début 2022, n’est qu’un projet-alibi, qui est bien en deçà des nouvelles exigences européennes : il porte avant tout sur un devoir de faire rapport, avec un devoir de vigilance qui porte uniquement sur le travail des enfants et les minerais de conflit. Mais en cas d’abus, les multinationales suisses ne doivent pas rendre des comptes, et les victimes n’ont pas accès à la justice. Pourtant, l’accès à la justice et aux réparations constitue l’un des trois piliers des Principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et droits humains, adoptés à l’unanimité par le Conseil des droits de l’homme en 2011. La Suisse a développé un Plan d’action national de mise en œuvre de ces principes (qui vient d’être mis à jour par l’administration fédérale), mais ce plan porte avant tout sur des mesures d’incitation et de sensibilisation, et table sur les initiatives volontaires. Or sans bases légales efficaces, la Suisse ne pourra pas garantir que nos multinationales respectent les droits humains et protègent l’environnement dans le cadre de leurs activités commerciales.
La nouvelle initiative en Suisse: Pourquoi est-elle nécessaire?
Lors de la campagne en votation de 2020, le Conseil fédéral a martelé à plusieurs reprises lors de la campagne en votation que la Suisse voulait agir de manière «coordonnée au niveau international » et mettre les entreprises en Suisse et dans l’UE « sur un pied d’égalité ».
Or si l’on consulte la carte de l’Europe, on se rend compte que la Suisse, si elle ne prend pas rapidement les mesures qui s’imposent, est en passe de devenir le seul pays d’Europe sans responsabilité des multinationales.
En décembre 2022, deux ans exactement après le vote sur l’initiative pour des multinationales responsables, les initiant·e·x·s ont déposé une pétition à la Chancellerie fédérale qui a recueilli le nombre impressionnant de 217 509 signatures en seulement 100 jours. Elle demandait au Conseil fédéral et au Parlement d’introduire une loi efficace sur la responsabilité des multinationales, comme cela était en cours au niveau de l’UE. Mais ni le Conseil fédéral, ni le parlement n’ont réagi à cette pétition. Pourtant, une législation efficace est nécessaire aussi en Suisse, puisque nos multinationales agissent bien au-delà de nos frontières.
Multinationales suisses impliquées dans des scandales
Par ailleurs, de nombreux scandales impliquant des grandes sociétés suisses sont régulièrement rendus publics. Amnesty International a elle-même publié un rapport en novembre 2022 qui montrait comment l’entreprise Puma Energy, basée à Genève et Singapour, était impliquée dans la livraison de carburant d'aviation à la junte militaire au Myanmar.
La Suisse est également le pays où siègent les grandes associations sportives telles que le CIO ou la FIFA. Or celles-ci sont tenues de respecter les droits humains et protéger l’environnement au même titre que les multinationales, puisque les Principes directeurs de l’ONU sur les entreprises et droits humains, tout comme ceux de l’OCDE pour une conduite responsable des entreprises, s’appliquent également à elles. Or Amnesty a dénoncé à plusieurs reprises les manquements de la FIFA dans ce domaine, comme lors des mondiaux de football au Qatar et en ce qui concerne l’attribution de la Coupe du monde 2034 à l'Arabie Saoudite.
La nouvelle réglementation européenne va bien plus loin que le contre-projet indirect à l’initiative votée en 2020
Le tableau montre clairement les lacunes du contre-projet actuellement en vigueur en Suisse :
La nouvelle initiative populaire reprend les éléments de la nouvelle loi européenne, sans toutefois ajouter de responsabilité civile pour les dommages causés par les fournisseurs. Sur cet aspect, la directive européenne va plus loin.
Appel à l'action !
Nous avons besoin de votre soutien pour relever le défi !
Pour le lancement de la nouvelle initiative pour des multinationales, notre coalition suisse s’est fixé un objectif ambitieux : nous voulons récolter les 100'000 signatures nécessaires en seulement 30 jours !
Signez notre nouvelle initiative !
Pour atteindre cet objectif, des bénévoles ont prévu énormément de stands de récolte de signatures dans tout le pays. Mais nous avons encore besoin de personnes pour aider à récolter des signatures en janvier ! Pourriez-vous participer pendant deux heures à la récolte de signatures dans votre région ? Vous pouvez vous inscrire directement sur le site de la coalition ici : www.responsabilite-multinationales.ch/stand-recolte/
Vous trouverez également des informations sur les raisons de l’engagement d’Amnesty dans cette nouvelle campagne dans l’interview de Danièle Gosteli Hauser, parue dans notre magazine AMNESTY : «Jouer selon les règles».