Qatar – Coupe du monde 2022 Droits humains: Un bilan mitigé

Par Lisa Salza, responsable Sport et droits humains à Amnesty Suisse. Opinion du 19 décembre 2022
La Coupe du monde de football masculin au Qatar l'a montré une fois de plus: un événement sportif de cette ampleur ne se déroule pas en vase clos, quand bien même les organisateurs l’auraient souhaité ainsi. Lorsque des violations des droits humains aussi massives que celles qui ont eu lieu au Qatar l’accompagnent, il n'est plus possible de se focaliser uniquement sur le sport.

Pour la première fois, les droits humains se sont invités dans la phase de préparation du tournoi, et plus surprenant encore, pendant son déroulement. Pour la première fois, une partie au moins des supporters a pris conscience des conséquences massives d’un tel événement sur les droits humains et l'environnement. La pression exercée sur les responsables de la Coupe du monde par les organisations de défense des droits humains et les syndicats au cours de la phase préparatoire a permis à la Fifa et au Qatar d'introduire des réformes. Il semble désormais peu probable qu'un pays candidat qui présenterait un risque élevé en matière de droits humains obtienne à nouveau l'organisation d'un grand événement sportif. Si cette hypothèse se confirme, il s'agirait d'un acquis à ne pas sous-estimer.

Pourtant, tout n’est pas rose pour autant. La Fifa ne s'est toujours pas décidée à créer un fonds d'indemnisation qui profiterait aux travailleurs·euses·x migrant·e·x·s dont les droits ont été violés pendant la construction des infrastructures de la Coupe du monde. Certes, le Qatar s’est doté en 2018 d’un mécanisme permettant d'indemniser les personnes dont les salaires sont en souffrance. Mais qu'en est-il des personnes qui n'ont pas été payées – ou qui l'ont été trop peu – avant  2018  (probablement la majorité des travailleurs·euses·x de la Coupe du monde)? Comment celleux qui ont payé des milliers de dollars de frais de placement illégaux, et qui ont ainsi accumulé une énorme dette, peuvent-iels être dédommagé·e·x·s ? Comment les personnes qui ont dû rentrer dans leur pays d'origine faute de moyens pour attendre d’être indemnisées pourront-elles faire valoir leurs droits ? Que peuvent espérer toutes les familles qui ont perdu un être cher dans des circonstances inexpliquées ?

Nombre de ces décès seraient vraisemblablement dus à la chaleur. Mais le stress thermique ne figure toujours pas sur la liste des risques professionnels au Qatar, malgré des milliers de décès inexpliqués. Il n'existe pas de mesures efficaces permettant de dédommager les personnes pour les souffrances subies. Gianni Infantino a réagi de manière lapidaire à la demande d'indemnisation : toutes celles qui ont subi une violation de leurs droits devraient simplement «contacter les autorités compétentes au Qatar». Le manque d'engagement de la Fifa est d'autant plus choquant que celle-ci a annoncé un bénéfice record de 7.5 milliards de francs, une somme qui lui permettrait sans risque de couvrir les indemnisations avec ses propres fonds.

 

Nouvelles priorités pour la Fifa

Il n’existe à l’heure actuelle aucune garantie sur la survie des réformes dans le droit du travail au Qatar. Certes, un «Labour Excellence Hub» devrait voir le jour bientôt et l'Organisation internationale du travail (OIT) est censée installer un bureau permanent au Qatar. Mais on est en droit de questionner l'indépendance de ces organes. Seront-ils capables de résister aux pressions à l’intérieur du pays et de garantir à long terme le respect des droits des travailleurs·euses·x – qui n'ont par exemple toujours pas le droit de se syndiquer ?

Seul l'avenir dira si les réformes au Qatar seront suivies d’effet, et si les critères de la Fifa en matière de droits humains adoptés en 2017 seront appliqués aux futurs événements sportifs.

Au lendemain du coup de sifflet final de la Coupe du monde, le constat est en demi teinte. La Fifa a créé des structures prometteuses comme le «Legacy Fund» et le «Labour Excellence Hub». Elle a noirci de nombreuses pages pour rédiger une stratégie de durabilité et une politique des droits humains. Pourtant, son comportement contradictoire avant et pendant cette Coupe du monde a clairement démontré que les valeurs qui sont au cœur de ces documents ne sont pas portées par la Fifa. Celle-ci se contente de les déléguer aux organisations compétentes. Tant que la Fifa ne portera pas dans son cœur le respect des droits humains, ni ne se convaincra que les événements qu’elle organise doivent être durables à tous les niveaux, nous devrons continuer de nous contenter de belles paroles plutôt que d'actions convaincantes et efficaces.