Des représentants des deux organisations se sont rendus dans cette ville cette semaine afin d’évaluer la situation, après que les médias ont fait savoir que des familles roms des quartiers de Craica et Pirita allaient commencer à être relogées.
Les deux organisations déplorent que le projet de relogement ne se soit pas appuyé sur une réelle consultation de toutes les personnes concernées et que les solutions proposées ne soient pas adéquates. Dans ce contexte, les autorités ne respectent pas les normes internationales relatives au droit à un logement convenable, particulièrement celles ayant trait aux expulsions et au relogement.
Les autorités locales semblent avoir largement délégué le travail de liaison avec les familles touchées à certains leaders politiques roms locaux et certaines associations municipales, qui sont conviés aux réunions, reçoivent des informations et prennent semble-t-il les décisions au nom de toutes les familles touchées.
Conditions de relogement floues
Au cours des dernières semaines, les familles vivant à Craica ont été informées par des responsables roms locaux que le campement allait être démoli et qu’elles devaient s’installer dans le bâtiment qui abritait auparavant les bureaux de l'usine CUPROM, ou accepter les parcelles de terrain sur les sites envisagés par la municipalité, sur lesquels elles pourraient construire elles-mêmes leurs logements. De nombreux habitants avec lesquels les organisations se sont entretenues ne disposaient pas d’informations précises sur les sites prévus ni sur les conditions de leur relogement.
Les autorités locales se sont rendues à Craica, mais nombre d’habitants ont déclaré qu’ils n’avaient pas pu leur faire part de leurs préoccupations directement, les négociations étant menées avec des «représentants». Les organisations s’inquiètent de ce que le processus de consultation n’a pas permis jusqu’ici la réelle participation de toutes les personnes touchées, notamment en raison du climat d’intimidation que ferait peser des dirigeants politiques locaux.
Femmes tenues à l'écart des prises de décision
Elles s’inquiètent particulièrement de la position défavorisée dans laquelle se trouvent les mères célibataires et les femmes chefs de famille lorsqu’il s’agit du processus de consultation. L’une d’entre elles a confié à Amnesty International: «Personne ne m’écoute. Dès que j’essaie de parler, ils me disent de la fermer.»
«Aucun représentant de la mairie n’est venu nous dire quoi que ce soit. Nous apprenons ce qui va se passer par des rumeurs, personne ne vient nous parler, sauf ces soi-disant représentants des Roms», a expliqué une autre habitante. Un Rom a ajouté: «Certaines informations nous ont été transmises par les représentants roms, mais personne ne les a élus, ils se sont nommés eux-mêmes. Les autorités locales doivent parler aux gens de notre communauté, qui vivent ici, qui savent ce que nous traversons. Elles ne doivent pas se contenter de négocier avec des représentants qui n’ont pas le droit de parler en notre nom.»
Menaces des dirigeants roms locaux contre les habitant·e·s
Les organisations sont très inquiètes quant aux informations faisant état de menaces, d’actes de harcèlement et d’intimidation imputables aux dirigeants roms locaux et aux représentants autoproclamés, qui cherchent ainsi à faire accepter aux habitants les solutions de relogement proposées. Beaucoup ont dit qu’ils avaient signé un accord de départ sous la contrainte ou sans avoir suffisamment d’informations sur les sites proposés.
«J’ai signé l’accord de relogement, mais sans savoir ce que je signais. Ils m’ont dit que si je ne le faisais pas, j’allais finir dans la rue. Ils nous ont menacés, laissant entendre que les bulldozers allaient venir, alors nous avons signé», a expliqué un Rom, ajoutant qu’il avait décidé de renoncer à la chambre qui lui était proposée dans l’ancien bâtiment de bureaux.
Irrégularités dans la procédure d'expulsion
La plupart des habitants qui se sont entretenus avec Amnesty International et le CRISS ces derniers jours n’étaient quasiment pas informés sur ce qui allait leur arriver. En avril 2012, des avis de démolition et d’expulsion ont été envoyés aux habitants de Craica, Pirita et, semble-t-il, d’autres quartiers informels. D’après ces avis, les habitants doivent démolir eux-mêmes leurs propres maisons et libérer le terrain à expiration du délai de 30 jours fixé par la loi. Si les autorités affirment qu’il ne s’agit pas d’une expulsion officielle, elles n’ont jusqu’à présent pris aucune autre mesure administrative. Les habitants n’ont donc pas été avertis suffisamment à l’avance, par écrit, de la date d’expulsion.
Sur la base des informations dont elles disposent, Amnesty International et le CRISS craignent que les propositions de relogement bafouent les normes internationales relatives au droit au logement et la législation roumaine en la matière. Leurs délégués ont visité le 8 mai 2012 le bâtiment industriel de trois étages rénové, qui devrait accueillir les 70 premières familles. Les installations sanitaires sont limitées, ne comprenant que deux salles d’eau communes pour les hommes, et deux par étage pour les femmes. Les deux petites cuisines situées à chaque étage ne disposaient pas d’appareils de cuisson, de robinets ni d’aucun autre équipement.
Une femme rom, qui s’occupe de deux enfants handicapés, a expliqué: «J’ai deux enfants malades. Je ne peux pas m’installer dans le bâtiment de la CUPROM et partager les toilettes communes avec autant de gens. Les enfants ont besoin d’une attention toute particulière. Je ne peux pas faire la queue afin de cuisiner pour eux.»
Mauvaises conditions de relogement
En Roumanie, les réglementations en matière de logements exigent qu’un bâtiment à usage d’habitation dispose du statut fonctionnel approprié, après octroi du permis de construire. Une expertise technique de la structure du bâtiment, ainsi qu’un bilan énergétique qui évalue la qualité de l’isolation thermique, doit également être effectuée. En outre, les installations sanitaires requises doivent être installées. D’après les informations dont dispose Amnesty International, ces conditions ne sont pas encore remplies.
À la connaissance des deux organisations, il n’y a pas eu d’étude concernant l’incidence sur la santé des habitants, étude pourtant rendue nécessaire du fait que l’usine CUPROM attenante traitait des métaux lourds. Aucun certificat sanitaire n’avait été délivré au moment de la réunion avec Amnesty International le 8 mai 2012.
Les deux organisations sont également préoccupées par les informations parues dans les médias selon lesquelles l’accès au bâtiment sera contrôlé, notamment à l’aide de caméras de surveillance et par des agents de sécurité.
Par ailleurs, Amnesty International et le CRISS redoutent que ceux qui acceptent d’être relogés dans le bâtiment de la CUPROM ne soient exposés à des expulsions futures, car c’est une société privée qui a cédé le bâtiment à la municipalité pour une durée initiale de trois ans. «Nous ne serons pas en sécurité là-bas. Que va-t-il se passer au terme de ces trois années ? On va nous mettre à la rue?», s’interrogeait l’un des habitants de Craica.
Les familles qui choisissent de recevoir une parcelle de terrain, que les autorités locales devraient mettre à disposition en remplacement des appartements proposés dans le bâtiment de la CUPROM, ont été informées qu’elles recevraient dans un premier temps des tentes militaires, jusqu’à ce qu’elles soient en mesure de construire elles-mêmes leur logement ou que les fonds soient débloqués pour la construction.
Au lendemain d’une rencontre entre Amnesty International et les autorités municipales de Baia Mare jeudi 10 mai 2012, Amnesty International et le CRISS réaffirment qu’il convient de mettre en place un processus donnant la possibilité à tous les habitants de prendre part à toutes les décisions qui affectent leurs vies et d’y participer réellement sans peur, harcèlement ni intimidation. Il faut une véritable consultation avec les populations touchées, que les autorités envisagent une expulsion ou qu’elles élaborent un programme de réinstallation volontaire. Tout projet de réinstallation doit être conforme aux normes internationales juridiquement contraignantes pour la Roumanie.
Complément d’information
Pas plus tard que le 24 avril 2012, la Cour européenne des droits de l’homme a conclu dans un arrêt historique que si une population est installée dans un endroit depuis plusieurs années, les autorités ne doivent pas réagir comme dans de «banales affaires d'expulsion [...] d'une propriété occupée illégalement». Au contraire, elles ont l'obligation de démontrer que l'expulsion est «proportionnée» au but recherché et doivent prendre en compte le fait que des personnes risquent ainsi de se retrouver à la rue.
Outre la Convention européenne des droits de l’homme, la Roumanie est partie à plusieurs traités régionaux et internationaux relatifs aux droits humains, qui exigent absolument qu'elle interdise les expulsions forcées, s'abstienne d'y avoir recours et les empêche. Parmi ces traités figurent le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), la Convention relative aux droits de l'enfant, la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale et la Charte sociale européenne dans sa version révisée.