Je suis venue à Delhi quand j’avais quatorze ans. J’ai été mariée quand j’avais dix-sept ans et que je travaillais comme domestique. Ma mère m’avait placée là. Elle travaillait aussi comme domestique, mais elle vivait dans le sud de Delhi et moi dans l’est. Je me sentais seule. Je n’avais pas suffisamment à manger. J’avais pour habitude de manger beaucoup de riz mais ils n’en cuisinaient pas assez. Mais j’aimais bien travailler là-bas car la patronne m’apprenait à lire et à écrire.
J’ai grandi dans un village du Bengale. Nous étions huit enfants. Mon père était fermier et possédait de la terre, environ 1,2 hectare. Il cultivait des légumes mais aussi des cultures de rente. Nous vivions plutôt bien. Nous avions une grande maison en terre sur deux étages.
Quand j’avais treize ans, mon père est tombé d’un cocotier et il est resté paralysé. Plus tard, sous l’influence de ses frères, il a jeté ma mère dehors. Elle est partie seule pour Delhi où elle a commencé à travailler comme domestique. Après son départ, mon père m’a aussi jetée dehors. J’ai rejoint ma mère et commencé à travailler.
Ma mère a rencontré Milan, mon mari, à travers des relations et l’a apprécié, surtout parce qu’il ne voulait rien, en termes de dote, pour m’épouser. Mon mariage a été réglé rapidement et je me suis installée dans ma nouvelle vie. Milan était gentil, je n’avais plus à travailler chez les autres, et une fois de plus, j’ai cru possible de rêver – toute mon enfance, mon père avait parlé de m’éduquer et de faire de moi une fonctionnaire.
Mais Milan a perdu son emploi et ma vie a encore changé. Il n’a pas retrouvé d’emploi fixe et il a fallu que je recommence à travailler. Quand mon premier fils est né, j’arrivais encore à m’en sortir. Trois ans plus tard, le second est né et il est devenu difficile de travailler et gérer les enfants à la fois. Mes patrons n’appréciaient pas que mes enfants m’accompagnent au travail. Finalement, en désespoir de cause, le 20 décembre 2004, Milan a emmené nos deux fils chez sa sœur au village et les a laissés là-bas. Le 12 janvier 2005, l’aîné est tombé dans un étang et s’est noyé, trois jours avant d’avoir quatre ans.
J’ai ramené le plus jeune avec moi à Delhi. Entre temps, Milan a trouvé un emploi régulier, et j’ai moi aussi trouvé une maison où travailler à plein temps. Je vis maintenant dans une chambre de bonne avec Milan et mon fils. Mon fils aîné me manque; je n’ai rien pu faire pour lui. Il a passé le plus clair de sa courte vie trimbalé partout, apeuré et mal accueilli. Je suis déterminée à ce que le plus jeune aille à l’école. Il est dans une bonne école et j’espère qu’il vivra bien.
Mon histoire n’est pas unique. La vie est très dure et nous ne disposons d’aucune sécurité. Si j’avais eu de l’argent, mon fils serait peut-être en vie aujourd’hui. Maintenant, je rêve d’un logement qui m’appartienne et dont personne ne puisse me chasser. Je rêve aussi de rentrées d’argent régulières, de pouvoir arrêter de travailler en tant que domestique et d’avoir du temps pour moi, pour apprendre à lire et à écrire davantage et guider mon fils dans ses études.
Anita Haldar, Inde «La vie est très dure et nous ne disposons d’aucune sécurité»
Anita Haldar, 26 ans, domestique, vit avec son mari et son fils de cinq ans à Delhi, Inde.