Monsieur F., Suisse «Le minimum du minimum, ce n’est pas la dignité!»

<img src="resolveuid/d87524cc7a0c1238b749b10de9ff8906" alt="La pauvret&#xE9; existe aussi en Suisse. &#xA9; Sylvain Liechti" title="La pauvret&#xE9; existe aussi en Suisse. &#xA9
La pauvret&#xE9; existe aussi en Suisse. &#xA9; Sylvain Liechti La pauvreté existe aussi en Suisse. © Sylvain Liechti

A l’école, j’étais en classe spéciale. Je ne le faisais pas exprès, mais je n’arrivais pas à assimiler les chiffres. Ma professeure m’a dit: «Fais un effort, sinon tu seras chômeur!» Je me suis bloqué, j’ai pensé à mon père qui était au chômage. Après je n’allais plus à ses cours. Si elle avait su ma situation familiale, elle aurait modéré ses propos: on peut se douter que l’enfant a des difficultés dans ces conditions. Puis j’ai arrêté l’école suite au décès de ma grand-mère: c’est là que j’ai fait ma dépression.

Ma dignité c’est d’avoir été bénévole. Depuis l’âge de quinze ans, j’ai fait du bénévolat dans une association d’aide aux personnes à la rue. Je suis fier d’avoir pu apporter une écoute, un réconfort à quelqu’un qui n’osait plus se confier.

J’ai été inscrit à l’Assurance Invalidité (AI). Puis j’ai travaillé dans des «ateliers protégés». Je cherchais à garder un rythme de vie, me lever le matin, prendre ma douche, partir au boulot, m’occuper la journée, ne pas rester à la maison regarder la télé. J’attendais de la reconnaissance.

Dans le premier atelier c’était toujours le même travail de mise sous enveloppe. Cela faisait usine, pas de dialogue avec le voisin, aucune ambiance. Tu cherches à te réinsérer: cela ne t’aide pas. Je n’ai pas tenu.

Après cela a été le «désert». J’avais des problèmes administratifs, je ne payais pas certaines factures. Quand tu ne fais rien de la journée, que tes amis travaillent, qu’ils ne veulent plus te voir parce que tu déprimes, il faut déjà arriver à s’accepter soi-même. J’ai dit: «Stop!» Cette fois j’ai accepté la perche d’une curatelle volontaire. J’ai repris un 80% dans un atelier «d’occupation». Je touche 2 francs de l’heure. Je paie ma facture d’électricité et ma facture de téléphone sans prendre sur l’AI.

La dignité, c’est de pouvoir gérer moi-même les choses courantes, sans devoir demander à quelqu’un de le faire à ma place. Si on n’y arrive pas soi-même, la dignité, c’est avoir le courage de demander de l’aide sans vivre une souffrance parce qu’on culpabilise. On ne veut pas être rabaissé.

A l’AI, on ne te propose rien pour te former à la hauteur d’un CFC. On ne m’a jamais proposé les mesures de réinsertion prévues par l’AI, pourtant j’ai déposé un dossier de demande. Tu es maintenu au minimum que ce soit pour la formation ou la rente AI. Le débouché de l’AI: tu restes à l’AI. Pour une vraie insertion, il faudrait que la rente AI soit plus élevée. Pas le couteau sous la gorge quand on essaie de vivre, tout simplement. Il faut un peu de marge pour payer les frais d’une occupation, d’une formation. Le minimum du minimum, ce n’est pas la dignité!

Dans la pauvreté, ce qui est violé c’est la dignité, le respect de la personne, de son mode de vie. On ne devrait pas être jugé sur ses choix par des personnes qui ne vivent pas les réalités de la pauvreté. Il faut arrêter de penser que la pauvreté ce n’est que l’Afrique! On dit que la Suisse est le pays le plus développé au niveau social, mais quand tu te frottes au système, tu ne peux pas t’en satisfaire. On tombe toujours dans une situation où l’aide n’est pas due et où tu n’as pas de possibilité de réinsertion. On est pauvre: on reste pauvre. Je ne suis pas d’accord!