Image utilisée lors de la campagne «#Unfollow me» d'Amnesty International. © Amnesty International
Image utilisée lors de la campagne «#Unfollow me» d'Amnesty International. © Amnesty International

Surveillance et sphère privée Questions et réponses sur la surveillance

3 décembre 2015
Quand la surveillance est-elle légitime ? Que dit Amnesty sur la surveillance de masse? N'est-elle pas nécessaire pour combattre le terrorisme? Les principales questions & réponses sur la surveillance de masse et la sphère privée.
Qu’est-ce que la surveillance?

La surveillance est l’observation des communications, du comportement ou des mouvements d’une personne. Les gouvernements peuvent ordonner des surveillances légales lorsqu’elles sont ciblées et fondées. A l’opposé elles peuvent être utilisées pour intimider des activistes, pour contrôler la société ou pour museler la dissidence.

Font partie de la surveillance des communications toutes les activités telles que l’observation, la saisie, le stockage, le tri, l’analyse, le partage ou tout autre usage qui peut être fait des données relatives à une communication (métadonnées) ou à son contenu.

Amnesty s’oppose-t-elle par principe à la surveillance?

Amnesty ne s’oppose pas par principe à toute forme de surveillance mais rejette toute mesure de surveillance massive et indiscriminée donc fondée sur aucun soupçon. La surveillance n’est justifiée que s’il existe des indices concrets d’une activité illégale et que la mesure est ciblée, nécessaire, proportionnelle et ordonnée par un juge.

Qu’est-ce que la surveillance de masse indiscriminée?

La surveillance de masse indiscriminée est, par exemple, la surveillance d’Internet et des communications téléphoniques d’un grand nombre de personnes, parfois d’un pays entier, sans que les personnes surveillées n’aient jamais éveillé un quelconque soupçon d’activités illégales.

Existe-t-il une forme légale de surveillance de masse indiscriminée?

Non. Les gouvernements peuvent certes légaliser des programmes de surveillance de masse mais ils se mettent alors clairement en porte à faux avec le droit international que la plupart des États ont ratifié.

Selon Amnesty International, une mesure de surveillance indiscriminée ne peut jamais constituer une atteinte justifiée et proportionnelle aux droits humains.

Quand une surveillance devient-elle légale?

La surveillance, pour être légale, doit répondre à six conditions :

  • elle doit avoir une base légale claire ; c’est-à-dire qu’elle doit être réglementée par des dispositions légales accessibles à toutes et tous
  • elle doit être autorisée par une décision spécifique, prononcée par un juge ou une autre autorité indépendante
  • elle doit être instaurée pour protéger un intérêt public légitime, par exemple pour élucider une enquête pénale ou pour garantir la sécurité nationale
  • elle doit être ciblée sur une personne, un groupe de personnes précis ou sur un lieu bien défini pour permettre d’atteindre un objectif légitime
  • elle doit être nécessaire à savoir qu’il ne doit pas y avoir d’autre moyen utilisable, moins intrusif, pour atteindre le but recherché
  • elle doit être proportionnelle c’est-à-dire que l’atteinte qu’elle occasionne aux droits humains doit être proportionnelle au but légitime recherché

La surveillance des communications Internet et téléphoniques de personnes que l’on soupçonne d’appartenir à un réseau de blanchiment d’argent, par exemple, sera légale si elle respecte ces six conditions. A l’opposé la surveillance des communications d’un pays entier – comme l’a pratiquée la NSA aux États Unis – est totalement illégale. Une telle surveillance est disproportionnée et les gouvernements ne sont pas en mesure de fournir des preuves concluantes de sa nécessité. De nombreux programmes de surveillance sont, de plus, autorisés par des normes légales floues que les juges aussi bien que le législateur ont de la peine à interpréter. Dans de nombreux pays, la surveillance est ordonnée par des décisions secrètes et sans aucune transparence.

Quelles sont les protections juridiques contre la surveillance?
  • L’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques protège chacun·e des « immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée »
  • L’article 19 du même texte protège le droit à la liberté d’expression, qui comprend « la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières ».

Les droits humains reconnus au niveau international protègent la sphère privée et la libre expression. Les États sont tenus de les respecter et de les protéger. Le droit international permet aux gouvernements de limiter ces droits dans certaines circonstances. C’est également le cas en ce qui concerne la surveillance des communications. Mais toute atteinte à la sphère privée doit être proportionnelle ce qui signifie que les mesures de surveillance doivent être nécessaires et adéquates pour atteindre le but poursuivi. Elles doivent être exigibles et représenter la manière la moins intrusive possible pour atteindre le but recherché.

Quel est le rapport entre le droit national et le droit international en ce qui concerne la surveillance?

Les compétences en matière de surveillance sont réglées par le droit national. Mais le fait que la surveillance soit réglée par une loi ne la rend pas automatiquement légale. Les États ont, en plus de leur propre législation, des obligations à respecter vis à vis des normes internationales en matière de droits humains. Une mesure de surveillance qui ne serait pas compatible avec les droits humains est illégale. La surveillance des communications est une atteinte au droit à la sphère privée et à la liberté d’expression, deux droits qui sont garantis, entre autres, par la CEDH.

En quoi les révélations d’Edward Snowden sont-elles si importantes?

Les révélations du lanceur d’alerte Edward Snowden ont révélé ce que beaucoup craignaient déjà: des gouvernements enregistrent et analysent secrètement nos données privées ainsi que nos communications, nos e-mailss, nos appels téléphoniques et nos SMS. Ils surveillent des millions de personnes, sans aucun contrôle ni transparence. Grâce aux révélations d’un ancien fonctionnaire de la NSA américaine, Edward Snowden, nous pouvons aujourd’hui mesurer l’étendue de la surveillance exercée par les services secrets américains et britanniques. Quelques exemples:

  • Les services secrets des USA délivrent chaque jour 200 millions de notes écrites aux services britanniques.
  • Les services secrets des USA et du Royaume Uni sont en mesure d’enclencher le micro de votre téléphone portable et de vous écouter même lorsque votre téléphone est déconnecté.
  • Les mêmes services enregistrent des images Webcam de millions d’Internautes alors même qu’aucun soupçon ne pèse sur eux.
Suis-je surveillé·e?

Vous utilisez un téléphone mobile ou Internet ? Dans ce cas, il y a de fortes chances pour que vous soyez surveillé·e. Des programmes de surveillance comme «Prism» et «Upstream» utilisés par la NSA ou encore «Tempora» utilisés par le Government Communication Head Quarter (GCHQ) britannique, ont accès aux données des grandes firmes d’Internet telles que Google, Facebook et Yahoo. Par ailleurs, ils interceptent les données directement sur les câbles utilisés par Internet pour faire circuler les données. La téléphonie mobile est également très largement surveillée dans de nombreux pays. Vous n'êtes malheureusement rien d’autre qu’un numéro de téléphone, une adresse e-mail ou IP qui est stockée dans des centrales de données.

Quelles données récoltent-ils sur moi?

Des données personnelles sont générées à chaque fois que les autorités, les entreprises ou des particuliers utilisent une technologie digitale, en retirant de l’argent au Bancomat, en surfant sur Internet, par le biais de caméras de surveillance ou au sein de l’administration publique (administration fiscale, services de santé). Les programmes de surveillance enregistrent et analysent l’historique de votre Browser internet, vos recherches, vos e-mails, vos informations instantanées, vos conversations par webcam et vos appels téléphoniques. Ils collectent également les métadonnées (les « données sur les données ») : avec qui, quand, combien de temps et depuis où avez-vous téléphoné ? Où étiez-vous minute après minute, à qui avez-vous envoyé des e-mails, etc.

Que se passe-t-il avec mes données?

Le problème est là ! Personne ne sait exactement ce qu’il advient de vos données personnelles et vous ne pouvez pas vous défendre contre leur diffusion. Ce qui est certain, c’est que vos données sont stockées dans de gigantesques banques de données et analysées au moyen de puissants algorithmes. Les données sont échangées entre plusieurs États et rendues accessibles à plusieurs services de renseignements.

Pourquoi la collecte des données est-elle dangereuse?

En soi et prises séparément, les différentes données et les bribes d’informations récoltées n’ont pas grande valeur. Mais, avec la mise en réseau croissante des divers systèmes, donc le regroupement de données éparses, des profils personnels très détaillés peuvent être effectués. Les opinions politiques, les préférences sexuelles, le style de vie, l’environnement social, le niveau de formation ou encore le potentiel criminel d’une personne sont des éléments que l’on peut récolter.

Comment la surveillance influence-t-elle la liberté d’opinion?

Le fait de se savoir placées sous contrôle de l’État conduit de nombreuses personnes à s’autocensurer. Telle une épée de Damoclès la surveillance influence la liberté d’opinion de réunion. Celui ou celle qui a peur d’être surveillé·e exprime moins volontiers son opinion et fait moins confiance à Internet pour appeler à une manifestation ou pour s’informer sur des thèmes sensibles. Le droit à la sphère privée est une condition de base nécessaire à l’exercice de nombreux autres droits comme la liberté d’opinion et d’information, le droit à se rassembler pacifiquement et l’interdiction de la discrimination.

Comment les gouvernements utilisent-ils la surveillance comme moyen de répression?

Les plateformes en ligne et les réseaux sociaux sont de plus en plus utilisés pour appeler à des protestations. Le « printemps arabe » est un bon exemple de cette utilisation. De nombreux gouvernements du monde entier restreignent ces nouvelles possibilités de s’exprimer et de s’informer ou les utilisent dans des buts répressifs. La menace sur la liberté d’expression s’illustre notamment par la censure exercée par le gouvernement turc, sur YouTube et Twitter ou encore par la surveillance globale d’Internet en Chine. Pendant les protestations de Maidan à Kiev en 2014 les détenteurs et détentrices de téléphone mobile qui se trouvaient dans les environs de la manifestation ont reçu un SMS intimidant qui disait : « Cher destinataire, vous avez été enregistré comme participant à la manifestation ».

Pourquoi me soucier de la surveillance si je n’ai rien à me reprocher ?

La question est mal formulée et on devrait plutôt se demander pourquoi porte-t-on atteinte à ma sphère privée alors que je n’ai rien fait de répréhensible ? Nous n’accepterions jamais que le gouvernement place des caméras vidéos dans nos appartements, ouvre systématiquement notre courrier et écoute toutes nos discussions avec nos ami·e·s. C’est pourtant ce qu’il fait avec la surveillance de masse.

Une société qui respecte la liberté et l’État de droit doit également respecter la vie privée de ses citoyen·ne·s à moins qu’il n’existe des soupçons, fondés sur des indices concrets, qu’ils ou elles s’adonnent à des activités criminelles. Si ce n’est pas le cas, tous les citoyen·ne·s sont soudain présumé·e·s coupables jusqu’à ce qu’ils ou elles aient pu prouver leur innocence.

Il est notoire que les données privées sont utilisées, dans certains pays, pour intimider, opprimer et réduire au silence les opposant·e·s et les journalistes. Si vous estimez que ce qui se passe dans ces pays est impossible chez vous, dites-vous bien qu’aucun État n’est à l’abri d’un changement de régime. Si nous ne nous protégeons pas maintenant, nous prenons le risque d’une future société d’où la vie privée sera absente.

Pourquoi me soucier d’une surveillance du gouvernement si les grandes firmes d’Internet ont déjà collecté toutes mes données personnelles?

Vous devriez également vous préoccuper de l’usage que font ces grandes entreprises de vos données. Elles devraient au minimum vous informer de l’usage qu’elles font de vos données. Elles sont tenues de les protéger soigneusement et ne sont pas autorisées à les utiliser pour autre chose que ce pourquoi elles ont été collectées. Ceci dit il y a une énorme différence entre les données collectées par Facebook par exemple et celles collectées par le gouvernement : lorsque vous vous annoncez sur un réseau social, vous décidez de votre plein gré de communiquer vos données privées alors que les services de renseignements prélèvent ces données sans vous demander votre avis. Enfin, les entreprises s ne sont pas en mesure de collecter les données de tout le monde mais uniquement des personnes qui utilisent leurs produits. C’est bien sûr différent pour les services de renseignements.

Quelles sont les revendications d’Amnesty International?

Amnesty demande aux gouvernements du monde entier

  • de mettre fin sans délai à tous les programmes de surveillance de masse et à garantir que toutes les mesures de surveillance ciblées prennent en compte les normes internationales en matière de droits humains.
  • de garantir que la surveillance des communications ne soit exercée qu’en cas de soupçons basés sur des indices concrets et sur décision judiciaire, que les moyens utilisés portent le moins possible atteinte aux droits fondamentaux et que les mesures de surveillance soient ciblées, nécessaires et proportionnelles.
  • de garantir la protection de la liberté d’opinion et d’information en ligne et que chacun·e soit en mesure de chercher, de recevoir et de diffuser des informations et des opinions sans considération pour les frontières.