La nouvelle loi sur le renseignement, adoptée en automne 2015 par le Parlement, permet au Service de renseignement de la confédération (SRC) de surveiller des espaces privés au moyen de mouchards ou introduire des chevaux de Troie dans des systèmes informatiques étrangers, notamment. Sur le plan des droits humains, ces mesures, ainsi que celle de l’exploration du réseau câblé, sont problématiques.
Pourquoi Amnesty critique-t-elle la loi sur le renseignement (LRens) ?
La nouvelle loi sur le renseignement, adoptée en automne 2015 par le Parlement met à disposition du Service de renseignement de la confédération (SRC) une palette de nouveaux moyens qui sont susceptibles de porter atteinte au droit au respect de la sphère privée. Le SRC pourra ainsi, par exemple, surveiller des espaces privés au moyen de mouchards ou introduire des chevaux de Troie dans des systèmes informatiques étrangers. Sur le plan des droits humains, ces mesures, ainsi que celle de l’exploration du réseau câblé, sont problématiques.
Qu’est-ce que l’exploration du réseau câblé ?
L’exploration du réseau câblé permettra au SRC « d’enregistrer les signaux transmis par réseau filaire qui traversent la Suisse ». Ceci signifie que le SRC pourra enregistrer tous les flux de données qui quittent la Suisse pour l’étranger et les analyser au moyen de mots-clés. Les services de renseignements auront ainsi accès aux métadonnées et au contenu de communications électroniques telles que les e-mails, la téléphonie ou les recherches via internet.
Pourquoi Amnesty critique-t-elle l’exploration du réseau câblé ?
Dès lors que la grande majorité des communications Internet en Suisse transitent par des serveurs et des réseaux étrangers, elles seraient toutes concernées par cette surveillance. L’exploration du réseau câblé est une forme de surveillance de masse menée sans même qu’elle n’implique la présence de soupçons. L’ensemble du flux de données est scanné sur la base de mots-clés et le SRC tente alors, au moyen de recherches croisées, de retrouver l’aiguille dans la botte de foin. Ceci conduit inévitablement à de trop nombreuses erreurs et à soupçonner des personnes innocentes. Une recherche de masse non fondée sur des soupçons précis basés sur des indices concrets est illégale et incompatible avec un État de droit démocratique.
Quels sont les droits concernés par la surveillance de masse ?
La surveillance de masse, non fondée sur des soupçons précis, entre en conflit avec plusieurs droits fondamentaux contenus dans la Constitution fédérale et la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). A côté du droit à la protection de la sphère privée et au secret des communications, la liberté d’expression et la présomption d’innocence sont aussi concernées. Si l’on surveille un médecin, un avocat, un prêtre ou un journaliste, le secret professionnel ou la protection des sources sont également mis en danger.
La LRens prévoit des limitations; l’exploration du réseau câblé ne doit servir qu’à « chercher des informations sur des événements importants en matière de politique de sécurité se produisant à l’étranger », les données purement suisses doivent être effacées.
Le SRC aurait accès à toutes les données qui transitent par le réseau câblé vers l’étranger. Même si quelqu’un domicilié en Suisse envoie un courriel à une autre personne en Suisse via son compte GMail, Yahoo ou similaire, ce message transite par l’étranger autorisant le SRC à y avoir accès, même si l’expéditeur et le destinataire sont tous deux en Suisse.
Les données suisses doivent être effacées: pourquoi se préoccuper de la surveillance à l’étranger ?
La surveillance de personnes à l’étranger doit également rester proportionnelle et ne saurait être ni permanente, ni généralisée. Le droit à la sphère privée est reconnu internationalement (par exemple dans la CEDH) et doit bénéficier à toute personne, indépendamment de son lieu de résidence, en Suisse comme à l’étranger.
L’exploration du réseau câblé serait soumise à autorisation et serait de plus placée sous surveillance. Pourquoi ces restrictions et ces contrôles sont-ils insuffisants ?
Les critiques à l’encontre de la LRens ont amené le Parlement à introduire quelques restrictions et contrôles. Ceci est à saluer mais ne change rien de fondamental à la critique. Les restrictions et les contrôles prévus limitent certes quelque peu l’utilisation des données mais cela ne change rien au fait que les flux sont enregistrés et analysés. La surveillance débute dès la collecte des données et non au moment de leur analyse. La surveillance et le contrôle des services de renseignements s’avèrent une tâche difficile, comme le montrent de nombreux exemples à travers le monde, y compris en Suisse.
Amnesty est-elle fondamentalement opposée à l’exploration du réseau câblé ?
L’exploration du réseau câblé représente une forme de surveillance de masse préventive et peut être menée en l’absence de tout soupçon basé sur des indices concrets. Nous y sommes fondamentalement opposés.
N’est-ce pas là trop restreindre le travail des services secrets dans leur lutte contre la criminalité et le terrorisme ?
La LRens donne au SRC de nouveaux moyens et de nouvelles compétences pour assurer une surveillance ciblée des personnes suspectes. Toutes ces mesures doivent respecter le principe de la proportionnalité ; les droits fondamentaux ne doivent pas être sacrifiés sur l’autel de la sécurité. La criminalité et le terrorisme doivent être combattus par des moyens légaux et respectueux de l’Etat de droit. La poursuite pénale reste pour cela le moyen le plus adéquat. En cas de soupçons fondés sur des indices concrets d’activités terroristes, de criminalité organisée, de transferts illégaux d’armement ou de leurs actes préparatoires, ce sont les autorités de poursuite pénale (Ministère public, polices cantonales) qui doivent intervenir et non les services de renseignement. C’est l’unique façon de garantir des procédures respectueuses de l’Etat de droit.
La surveillance de masse n’est-elle pas nécessaire pour lutter contre le terrorisme ?
Il est fréquemment fait référence à la « sécurité nationale » pour justifier des atteintes aux droits humains. Il n’existe pourtant aucune preuve à ce jour que des mesures de surveillance généralisées, non fondées sur des soupçons précis, aient contribué à renforcer la sécurité.
Une commission d’enquête indépendante, mise en place par le président Obama (PCLOB) a conclu en janvier 2015 que la collecte de données par la National Security Agency (NSA) était illégale et représentait une « menace sérieuse pour les droits civiques et la démocratie ». Elle s’est par ailleurs montrée inutile dans la lutte contre le terrorisme : « Il n’y a pas un seul cas dans lequel le programme (de la NSA) a permis de mettre à jour des projets terroristes inconnus ou a contribué à empêcher des attaques terroristes », conclut le rapport de la commission.
Une enquête a également été menée en Allemagne sur l’efficacité des mesures de surveillance généralisée (saisie des métadonnées). Là non plus, l’efficacité des mesures n’a pas été démontrée. Dans la conclusion de son expertise effectuée pour le compte du gouvernement, l’Institut Max Planck conclut: « En comparaison avec les taux de cas élucidés qui ont été atteints en Suisse et en Allemagne en 2009, aucun indice ne laisse croire que la surveillance pratiquée en Suisse depuis environ 10 ans ait mené à un taux systématiquement plus élevé. »