«Dans le monde entier des gouvernements font preuve d'hypocrisie face à la torture. Ils l'interdisent à travers la législation mais l'encouragent dans la pratique», a déclaré Manon Schick, directrice générale de la Section suisse d'Amnesty International, lors du lancement de Stop Torture, la nouvelle campagne mondiale d'Amnesty International visant à lutter contre la torture et les autres mauvais traitements dans le monde.
«La torture est non seulement toujours pratiquée, mais le recours à cette pratique est en augmentation dans de nombreux pays à travers le monde. De plus en plus de gouvernements tentent de la justifier au nom de la sécurité nationale, affaiblissant les progrès constants réalisés dans ce domaine depuis 30 ans.»
Depuis 1984, 155 États ont ratifié la Convention des Nations unies contre la torture ; 142 ont fait l'objet de recherches menées par Amnesty International. L'organisation a constaté que 79 États, soit plus de la moitié des États parties qu'elle a étudiés, pratiquaient encore la torture en 2014. Trente-deux autres membres des Nations unies n'ont pas adopté la Convention, bien que l'interdiction mondiale de la torture s'applique également à eux.
Ces cinq dernières années, Amnesty International a signalé des cas de torture et d'autres formes de mauvais traitements dans au moins 141 pays de toutes les régions du monde, c'est-à-dire dans pratiquement tous les pays sur lesquels travaille l'organisation. La torture étant par nature entourée du plus grand secret, le nombre de pays qui la pratique est probablement encore plus élevé.
Un nouveau rapport pour le lancement de la campagne
La campagne Stop Torture s'ouvre avec un rapport destiné aux médias, intitulé La torture en 2014 : 30 ans d'engagements non tenus, qui fournit un aperçu du recours à cette pratique dans le monde à l'heure actuelle.
Ce rapport présente différentes techniques de torture, allant des positions douloureuses aux décharges électriques dans les parties génitales en passant par la privation de sommeil, utilisées contre les personnes soupçonnées d'infractions pénales ou d'atteintes à la sécurité du pays, les dissidents et les opposants politiques, entre autres.
Sondage d'opinion à l'échelle mondiale
Dans le cadre de sa campagne, Amnesty International a mandaté GlobeScan pour mener une étude visant à évaluer à l'échelle mondiale les attitudes envers la torture. «Les résultats de cette nouvelle enquête mondiale sont surprenants, près de la moitié des participants pensent qu'ils pourraient être eux-mêmes torturés. On constate un large soutien parmi le public en faveur des actions visant à empêcher la torture. Cependant, plus du tiers des personnes interrogées (36 %) pensent encore que le recours à la torture peut être justifié dans certaines circonstances», a expliqué Caroline Holme, directrice de GlobeScan.
Des mesures telles que la criminalisation de la torture dans le droit national, l'ouverture des centres de détention à des observateurs indépendants ou encore le fait de filmer les interrogatoires ont permis de faire reculer le recours à la torture dans les pays qui prennent au sérieux leurs engagements au titre de la Convention.
Amnesty International demande aux gouvernements d'instaurer des mécanismes de protection, tels que des examens médicaux en bonne et due forme, le droit de pouvoir consulter rapidement un avocat, des contrôles indépendants des lieux de détention, des enquêtes indépendantes et efficaces en cas d'allégations de torture, des poursuites judiciaires à l'encontre des personnes soupçonnées d'avoir commis des actes de torture et des réparations appropriées pour les victimes, afin de prévenir et sanctionner le recours à la torture.
«Il y a 30 ans, Amnesty International a mené une campagne demandant aux pays du monde entier de s'engager à combattre la torture. Cette campagne a abouti à la Convention des Nations unies contre la torture. Depuis, de nombreuses avancées ont été réalisées. Mais il est décourageant de constater aujourd'hui qu'une campagne mondiale est encore nécessaire pour faire en sorte que ces engagements soient respectés», a déclaré Manon Schick.
Complément d'information
Amnesty International continue d'agir à l'échelle mondiale contre la torture, mais elle va en particulier se pencher sur cinq pays dans lesquels cette pratique est monnaie courante et où elle pense pouvoir obtenir des résultats non négligeables. La campagne s'articulera autour de rapports substantiels contenant des recommandations spécifiques pour chacun de ces pays.
Au Mexique, le gouvernement affirme que les cas de torture sont exceptionnels mais, en réalité, il est fréquent que la police et les forces de sécurité pratiquent ce type de sévices sans être sanctionnées. Miriam López Vargas, 31 ans, mère de quatre enfants, a été enlevée à Ensenada, où elle vit, par deux soldats en civils qui l'ont emmenée dans une caserne. Elle y a été détenue pendant une semaine, au cours de laquelle elle a été violée trois fois, asphyxiée et électrocutée. Ces actes avaient pour but de l'obliger à «avouer» qu'elle était impliquée dans des infractions liées à la législation sur les stupéfiants. Trois ans ont passé mais aucun de ses tortionnaires n'a été traduit en justice.
Aux Philippines, la justice est hors d'atteinte pour la plupart des victimes de torture. Un lieu de détention secret où des policiers maltraitaient des détenus «pour s'amuser» a été récemment découvert. Selon certaines informations, des policiers faisaient tourner une «roue de la torture» pour décider des sévices qui seraient infligés aux détenus. Le retentissement médiatique de cette affaire a entraîné l'ouverture d'une enquête interne et quelques policiers ont été renvoyés. Cependant, Amnesty International réclame une enquête impartiale et exhaustive au terme de laquelle les policiers impliqués seront traduits en justice. La plupart des actes de torture commis par la police ne sont pas signalés et les victimes continuent de souffrir en silence.
Au Maroc et au Sahara occidental, les autorités enquêtent rarement lorsque des cas de torture sont signalés. Les autorités espagnoles ont extradé Ali Aarrass vers le Maroc bien qu'il était à craindre qu'il y soit torturé. Des agents des renseignements sont venus le chercher et l'ont emmené dans un lieu de détention secret. Là, il affirme avoir reçu des décharges électriques dans les testicules, avoir été frappé sur la plante des pieds et avoir été suspendu par les poignets des heures durant. Les policiers l'auraient obligé à «avouer» avoir aidé un groupe terroriste. Ali Aarrass a été déclaré coupable et condamné à 12 ans de prison sur la base de ces «aveux». Aucune enquête n'a été menée sur ses allégations de torture.
Au Nigeria, policiers et militaires ont couramment recours à la torture. Moses Akatugba avait 16 ans lorsqu'il a été arrêté par des soldats. Il a expliqué qu'ils l'avaient battu et lui avaient tiré une balle dans la main. D'après ses déclarations, il aurait été transféré sous la garde de la police et des policiers l'auraient pendu par les bras et les jambes pendant des heures dans un poste de police. Moses Akatugba affirme avoir été contraint, sous la torture, à signer des «aveux» selon lesquels il était impliqué dans un vol. Aucune enquête n'a été menée sur ces allégations. En novembre 2013, après avoir attendu le verdict de son procès pendant huit ans, il a été condamné à mort.
En Ouzbékistan, la torture est très répandue mais les tortionnaires sont rarement traduits en justice. Amnesty International n'est pas autorisée à entrer dans ce pays. Dilorom Abdukadirova a passé cinq ans en exil après que les forces de sécurité ont ouvert le feu sur une manifestation à laquelle elle participait. À son retour, elle a été arrêtée, empêchée de voir sa famille et inculpée de tentative de renversement du gouvernement. Pendant son procès, elle est apparue émaciée et elle avait des bleus sur le visage. Sa famille est persuadée qu'elle a été torturée.
Communiqué de presse publié le 13 mai 2014, Londres, Lausanne.
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