Amnesty International a documenté de nombreux cas d'utilisation abusive de pitolets à impulsion électrique, plus communément appelés «tasers». © Getty Images
Amnesty International a documenté de nombreux cas d'utilisation abusive de pitolets à impulsion électrique, plus communément appelés «tasers». © Getty Images

Monde Utilisation abusive des armes à impulsions électriques par les forces de l’ordre

Communiqué de presse du 6 mars 2025, Londres, Berne – Contact du service de presse
Des États et des entreprises fabriquent et vendent des équipements à impulsions électriques utilisés pour commettre des actes de torture et d’autres mauvais traitements. L’organisation appelle à un traité mondial juridiquement contraignant pour réglementer la production et le commerce incontrôlés des équipements de maintien de l’ordre. En Suisse, l’organisation s’inquiète d’une augmentation de l’usage des pistolets à impulsion électrique communément appelés Tasers. Elle appelle à une limitation, une réglementation et à un encadrement de leur usage.

Dans le rapport intitulé « Je n’arrive toujours pas à dormir la nuit » – L’utilisation abusive des équipements à impulsions électriques dans le monde [en anglais], Amnesty International a enquêté sur l’utilisation d’armes à impulsions électriques par contact direct – comme les matraques et pistolets paralysants – par des organes chargés de l’application des lois dans les rues, aux frontières, dans des centres de détention pour migrant·e·s et réfugié·e·s, des établissements de santé mentale, des postes de police, des prisons et d’autres lieux de détention.

Ces dispositifs intrinsèquement abusifs, qui infligent des décharges douloureuses par une simple pression du doigt, ont été notamment utilisés contre des manifestant·e·s, des étudiant·e·s, des opposant·e·s politiques, des femmes et des filles (y compris des femmes enceintes), des enfants et des défenseur·e·s des droits humains. Les victimes ont souffert de diverses conséquences : brûlures, engourdissements, fausses couches, incontinence urinaire, insomnies, épuisement, traumatismes psychologiques profonds...

Les pistolets à impulsion électrique sont trop souvent utilisés contre des personnes qui ne présentent aucun risque de violence, simplement pour les punir ou les faire obéir aux ordres.»
Patrick Wilcken, chercheur au sein de l’équipe Armée, sécurité et maintien de l’ordre à Amnesty International

Le rapport d’Amnesty International s’intéresse également à l’utilisation croissante des pistolets à impulsion électrique (PIE) souvent appelés Tasers par lexicalisation de la marque américaine, qui peuvent jouer un rôle légitime dans les opérations de maintien de l’ordre mais sont souvent employés à mauvais escient. L’organisation a notamment relevé un usage injustifié et discriminatoire contre des catégories vulnérables de la population, qui a entraîné de graves blessures, voire des décès dans certains cas.

« Les armes à impulsions électriques par contact direct peuvent provoquer des souffrances intenses et, sur le long terme, une invalidité physique et une grande détresse psychologique. Une utilisation prolongée peut même causer la mort. Les PIE sont utilisés contre des personnes qui ne présentent aucun risque de violence, simplement pour les punir ou les faire obéir aux ordres. Ils sont également utilisés en mode “contact”, ce qui devrait être interdit. Aucune réglementation mondiale ne contrôle la production et le commerce des équipement à impulsions électriques. Les armes à impulsions électriques par contact direct doivent être interdites immédiatement et les PIE doivent faire l’objet de contrôles stricts des exportations, fondés sur le respect des droits humains », a déclaré Patrick Wilcken, chercheur au sein de l’équipe Armée, sécurité et maintien de l’ordre à Amnesty International.  

Augmentation inquiétante de l’usage des PIE en Suisse

Depuis 2016, les pistolets à impulsions électriques sont de plus en plus employés en Suisse. Selon les dernières statistiques, les corps de police cantonaux ont utilisé des PIE à 69 reprises en 2022 et à 86 reprises en 2023, soit quatre fois plus qu'il y a dix ans. L'utilisation des pistolets à impulsions électriques est également prévue dans certains établissements pénitentiaires.

«Ces armes sont en train de devenir l’option par défaut pour gérer les conflits.»
Alicia Giraudel, juriste à Amnesty International Suisse

« Ces armes sont en train de devenir l’option par défaut pour gérer les conflits, ce qui conduit à leur déploiement inutile ou disproportionné », observe Alicia Giraudel, juriste à Amnesty International Suisse.

« Les pistolets à impulsions électriques peuvent causer des blessures graves, voire la mort. Leur utilisation doit être limitée à des situations extrêmes, c'est-à-dire des situations impliquant une menace pour la vie ou un risque de blessure grave. Une telle limitation est nécessaire pour que les agent·e·x·s de police dûment formés ne déploient ces armes qu’en dernier recours ou juste avant le moment où il serait autrement justifié de recourir aux armes à feu. »

La Suisse doit contrôler strictement la vente de ces biens aux forces de l'ordre afin de s'assurer qu'ils ne soient pas utilisés pour commettre des actes de torture ou d'autres mauvais traitements. Elle devrait également mettre en place une réglementation stricte de leur utilisation, veiller à ce que les agent·e·s de police soient correctement formé·e·s et établir des mécanismes de contrôle indépendants pour enquêter et traiter tout incident de mauvaise utilisation », recommande Alicia Giraudel.

Lisez notre prise de position

Cas d’utilisations abusives à travers le monde

Les PIE ont souvent été utilisés comme des armes à impulsions électriques par contact direct à travers le monde.

Lors du soulèvement « Femme. Vie. Liberté. » de 2022 en Iran, des militaires du bataillon Bassidj du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) ont forcé plusieurs garçons à se tenir en ligne avec des détenus adultes, jambes écartées, pour recevoir sur les parties génitales des décharges électriques administrées avec des pistolets paralysants.

Dans un autre cas, plusieurs écoliers ont été enlevés pour avoir écrit sur un mur le slogan de protestation « Femme, Vie, Liberté ». L’un des garçons a raconté à Amnesty International : « Ils m’ont frappé au visage avec la crosse d’un fusil, infligé des décharges dans le dos et asséné des coups de matraque sur la plante des pieds et sur les mains... »

Au sujet d’une descente effectuée le 2 mars 2022 par des gardes-frontières au centre de détention de Medininkai en Lituanie, un détenu originaire d’Afrique subsaharienne a déclaré : « J’étais allongé sur le sol et ils ont quand même utilisé des pistolets Taser trois fois contre moi, tout en me frappant avec des matraques ». Une femme a décrit les menaces proférées par des agents de police, qui ont placé un « Taser » sur son front en lui disant : « Tais-toi ou je te tire dessus ! »

« Même en étant utilisés pour tenir une cible à distance, les PIE ont causé de graves blessures et des décès », a déclaré Patrick Wilcken. Parmi ces exemples, on trouve des pénétrations et lacérations causées par les dards au crâne, aux yeux, aux organes internes, à la gorge, aux doigts et aux testicules ; des brûlures, convulsions et arythmies causées par les décharges électriques ; et un ensemble de blessures et de décès provoqués par des chutes. »

L’urgence d’imposer des interdictions et une réglementation du commerce

Entre janvier 2018 et juin 2023, au moins 197 entreprises du monde entier ont fabriqué ou promu des équipements à impulsions électriques par contact direct destinés aux forces de l’ordre – la plupart établies en Chine, en Inde et aux États-Unis. Selon le constructeur américain Axon Enterprise, Inc., les modèles de leur marque Taser sont actuellement utilisés par plus de 18 000 organes chargés de l’application des lois dans plus de 80 pays.

« Il est urgent d’adopter un traité juridiquement contraignant qui interdirait les équipements à impulsions électriques intrinsèquement abusifs et contrôlerait strictement le commerce des PIE », a déclaré Patrick Wilcken.

« Les entreprises doivent mettre en place de solides procédures pour respecter la diligence requise en matière de droits humains, et des mesures d’atténuation pour veiller à ce que leurs produits et services ne soient pas systématiquement utilisés à mauvais escient à des fins de torture et d’autres mauvais traitements. Cela implique notamment de cesser la production de dispositifs à impulsions électriques par contact direct et de supprimer le mode “contact” des PIE. »

Amnesty International, aux côtés d’un réseau mondial de plus de 80 organisations de la société civile, mène campagne en faveur de la négociation d’un traité contre le commerce des instruments de torture qui imposerait des interdictions et des contrôles dans le monde entier pour un vaste éventail d’équipements de maintien de l’ordre, dont les armes et équipements à impulsions électriques.

Complément d’information

  • En septembre 2017, l’UE, l’Argentine et la Mongolie ont créé l’Alliance pour un commerce sans torture, en marge de l’Assemblée générale de l’ONU réunie à New York. L’Alliance regroupe actuellement 62 États de toutes les régions du monde qui se sont engagés à « agir ensemble pour prévenir, limiter et mettre fin au commerce » de biens utilisés notamment pour infliger la torture ou d’autres formes de mauvais traitements. En octobre 2023, la rapporteuse spéciale de l’ONU sur la torture a présenté un rapport thématique sur le « commerce de la torture » lors de l’Assemblée générale, dans lequel elle prônait l’adoption d’un instrument juridiquement contraignant pour réglementer la production et le commerce des équipements de maintien de l’ordre et présentait une liste de biens considérés comme interdits ou devant être réglementés.
  • Le nouveau rapport d’Amnesty International fait partie d’une série de publications issues de recherches approfondies qui montrent les répercussions dévastatrices du commerce des équipements de maintien de l’ordre sur les droits humains ; l’organisation a précédemment publié des enquêtes sur le gaz lacrymogène, les matraques, les balles en caoutchouc et les armes à létalité réduite utilisées pour réprimer des manifestations.
  • Ce rapport détaillé repose sur des recherches effectuées par Amnesty International de 2014 à 2024 dans plus de 40 pays de toutes les régions du monde, où des cas de torture et d’autres formes mauvais traitements infligés à l’aide d’équipements à impulsions électriques ont été signalés.