© Amnesty International Suisse
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Asile / Renvois Dublin Les personnes fragilisées doivent pouvoir rester en Suisse

Communiqué de presse du 16 mars 2023, Berne. Contact du service de presse
De nombreuses personnes arrivées en Suisse par la route des Balkans sont menacées d'un renvoi forcé vers la Croatie. Au vu des pushbacks bien documentés et des violences policières à l'encontre des migrant·e·s, de l'impunité persistante des responsables de ces violations des droits humains ainsi que des graves lacunes du système d'asile croate, Amnesty International appelle les autorités suisses à stopper les transferts de personnes traumatisées ou souffrant de problèmes de santé vers ce pays.

Récemment, plusieurs réfugié·e·s ont déclaré avoir subi des actes de torture et des mauvais traitements de la part des gardes-frontières et de la police croates. Ces personnes ont néanmoins été reconduites vers la Croatie ou sont sur le point de l'être. Celles qui ont besoin d'un traitement médical sont également menacées d'expulsion.

La jurisprudence du Tribunal administratif fédéral montre que la grande majorité des requérant·e·s d'asile qui arrivent en Suisse via la Croatie témoignent des mauvais traitements de la part de la police. Amnesty Suisse a également connaissance de cas de réfugié·e·s originaires de pays comme l'Afghanistan, la Turquie ou le Burundi qui doivent être renvoyé·e·s vers la Croatie en vertu du règlement Dublin III, bien qu'iels expliquent avoir été détenu·e·s arbitrairement, battu·e·s ou humilié·e·s par les forces de sécurité croates pendant leur fuite.

« Les lacunes du système d'asile, l'insuffisance des prestations de l'État, ainsi que l’absence d'accès à la justice rendent inadmissible le transfert de personnes ayant subi des traumatismes, des tortures et des mauvais traitements »Alicia Giraudel, spécialiste du droit d'asile à Amnesty Suisse

Des personnes traumatisées sans prise en charge

« Amnesty International s'oppose fermement aux transferts de personnes malades et traumatisées vers la Croatie. Les lacunes du système d'asile, l'insuffisance des prestations de l'État – notamment le manque de soins de santé adéquats pour les requérant·e·s d'asile – ainsi que l’absence d'accès à la justice rendent inadmissible le transfert de personnes ayant subi des traumatismes, des tortures et des mauvais traitements », déclare Alicia Giraudel, spécialiste du droit d'asile à Amnesty Suisse.

« À cela s'ajoute le fait qu'un pourcentage élevé de personnes en fuite ont elles-mêmes subi des violences policières en Croatie. Le comportement illégal de la police reste en grande partie impuni, des sanctions concrètes contre les auteurs de ces actes font défaut. Il manque également la volonté et l'engagement du gouvernement de mettre fin à la pratique illégale des pushbacks et à la violence des forces de sécurité contre les personnes en fuite, qui dure depuis sept ans », ajoute Alicia Giraudel.

Selon le Secrétariat d'Etat aux migrations (SEM), 17 transferts Dublin vers la Croatie ont été effectués en 2022. Le SEM argumente que la Croatie est un État de droit avec des autorités policières qui fonctionnent, et que les personnes en fuite devraient s'adresser aux autorités de surveillance locales en cas de mauvais traitements. Mais cet argument ne tient absolument pas compte des violations systématiques et généralisées des droits humains par les autorités croates, confirmées par les organisations internationales et les tribunaux. 

« Les personnes qui ont été maltraitées et torturées par la police en Croatie ne peuvent pas y être renvoyées pour demander protection et réparation pour les souffrances subies à ces mêmes autorités. La Croatie a systématiquement bafoué les droits à la réparation, à l'indemnisation et à la réhabilitation inscrits dans la Convention des Nations unies contre la torture. De plus, les victimes de traumatismes et de mauvais traitements qui ont besoin d'un soutien urgent n'ont pas accès à des soins médicaux spécialisés ni à une aide psychosociale, car ceux-ci ne sont pas garantis aux requérant·e·s d'asile en Croatie », soulève Alicia Giraudel. « Par conséquent, le renvoi de personnes dans ce pays est inacceptable et peut être considéré comme contraire à la Convention de l'ONU contre la torture. »

Dans une récente analyse juridique, l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés critique également la pratique du SEM et la jurisprudence actuelle du Tribunal administratif fédéral et recommande de ne pas effectuer de transferts vers la Croatie.

Violences policières et impunité généralisée

La Cour européenne des droits de l'homme (CrEDH) et le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) ont confirmé dans des jugements et des rapports la pratique illégale du harcèlement et des violences policières par les autorités croates. Ces pratiques ont également été documentées par des organisations humanitaires et de défense des droits humains telles qu'Amnesty International, qui ont vivement critiqué la torture, les mauvais traitements et l'impunité généralisée lors des attaques contre les personnes en fuite.

Le nombre de personnes qui tentent d'entrer dans l'UE par la « route des Balkans » a diminué par rapport aux années précédentes en raison de la modification des itinéraires migratoires. Cependant, les attaques de la police croate se poursuivent sans relâche : selon le Danish Refugee Council, 3 461 personnes ont fait l’objet de renvois forcés illégaux vers la Bosnie-Herzégovine en 2022. De nombreuses personnes ont déclaré avoir été maltraitées physiquement, humiliées ou détenues arbitrairement par la police croate. Beaucoup d’autres ont déclaré que leurs affaires avaient été détruites ou qu'elles avaient été volées par les forces de sécurité.

Selon Alicia Giraudel, « les preuves des violations des droits humains commises par la police croate sont accablantes. L’attitude de la Suisse, qui consiste à renvoyer en Croatie des personnes traumatisées qui y ont subi des violences et des mauvais traitements de la part de la police est irresponsable. »