Le rapport 2016/17 (pdf, 3 MB), «La situation des droits humains dans le monde», couvre 159 pays et offre l'analyse la plus complète qui soit de la situation des droits fondamentaux sur la planète. Il alerte sur les conséquences des discours de rejet des «autres» qui dominent en Europe, aux États-Unis et ailleurs. Ces discours alimentent un recul mondial des droits humains et se traduisent par une réponse dangereusement faible de la communauté internationale aux atrocités massives qui sont commises.
«En 2016, l'utilisation cynique de ces discours rejetant la faute sur les «autres» et distillant la peur et la haine a atteint des niveaux inégalés depuis les années 30. Trop de responsables politiques tentent de séduire l'électorat en répondant aux craintes légitimes en matière économique et de sécurité par une manipulation pernicieuse des politiques identitaires, de nature à semer la division», a déclaré Salil Shetty, secrétaire général d'Amnesty International.
«Les discours clivants des marchands de peur sont devenus une force dangereuse dans les affaires de la planète.»
«Les discours clivants des marchands de peur sont devenus une force dangereuse dans les affaires de la planète. Donald Trump, Viktor Orbán, Recep Tayyip Erdoğan, Rodrigo Duterte… de plus en plus de responsables politiques se déclarant antisystème, défendent des programmes nocifs qui s'acharnent sur des groupes entiers de population, les désignent comme boucs émissaires et les déshumanisent.»
Recul mondial des droits humains
En 2016, plusieurs bouleversements politiques ont révélé la capacité des discours de haine à libérer la face la plus sombre de la nature humaine. Si les propos pernicieux tenus par Donald Trump durant sa campagne sont particulièrement emblématiques de la tendance mondiale à défendre des politiques toujours plus clivantes et fondées sur la colère, d'autres dirigeants politiques à travers le monde ont comme lui parié sur des discours reposant sur la peur, l'accusation et la division pour remporter le pouvoir.
Réfugiés ciblés
Certains s'en sont également pris aux réfugiés et aux migrants – des boucs émissaires faciles. Le rapport annuel d'Amnesty International montre que 36 pays ont violé le droit international en renvoyant illégalement des réfugiés dans des pays où leurs droits étaient menacés.
Tout récemment, le président Donald Trump a mis en application le discours haineux et xénophobe de sa campagne en signant un décret destiné à empêcher les réfugiés de se réinstaller aux États-Unis – privant ainsi des personnes qui fuient des conflits et des persécutions dans des pays ravagés par la guerre, comme la Syrie, de la possibilité de trouver refuge dans le pays.
De son côté, l'Australie a fait intentionnellement souffrir les réfugiés en les piégeant à Nauru et sur l'île de Manus, tandis que l'Union européenne (UE) concluait avec la Turquie un accord illégal et irresponsable lui permettant de renvoyer des réfugiés dans ce pays.
Atteintes massives à la liberté d’expression
Ailleurs dans le monde, c'est une vague de répression massive qui s'est abattue sur la liberté d'expression, notamment en Chine, en Égypte, en Éthiopie, en Inde, en Iran, en Thaïlande et en Turquie. D'autres pays ont mis en œuvre des mesures de sécurité intrusives, telles que l'état d'urgence prolongé en France et les lois sans précédent sur la surveillance adoptées au Royaume-Uni. La politique de l'«homme fort» s'est aussi traduite par une montée des discours antiféministes et défavorables aux lesbiennes, gays et personnes bisexuelles, transgenres et intersexuées (LGBTI). En Pologne, par exemple, des tentatives de recul sur les droits des femmes ont déclenché des manifestations massives.
Un monde qui ferme les yeux sur les atrocités
Amnesty International tient à alerter sur le fait que les crises actuelles seront exacerbées en 2017 par l'absence handicapante de volonté politique en matière de droits humains sur une scène internationale chaotique. En effet, la politique de rejet des «autres» se manifeste également à l'échelle internationale, où le multilatéralisme cède la place à un ordre mondial plus agressif et plus conflictuel.
«Les dirigeants mondiaux n'ont pas la volonté politique de faire pression sur les États qui violent les droits humains.»
«Les dirigeants mondiaux n'ont pas la volonté politique de faire pression sur les États qui violent les droits humains, ce qui remet en cause un certain nombre de principes fondamentaux, allant du droit d'asile à l'obligation de rendre des comptes pour les atrocités massives qui sont commises», a déclaré Salil Shetty.
Longue liste de crises
Le monde est confronté à une longue liste de crises, sans que l'on constate beaucoup de volonté politique de les résoudre. Citons par exemple la Syrie, le Yémen, la Libye, l'Afghanistan, l'Amérique centrale, la République centrafricaine, le Burundi, l'Irak, le Soudan du Sud et le Soudan. Le rapport annuel d'Amnesty International fait état de crimes de guerre perpétrés dans au moins 23 pays en 2016.
Malgré ces situations critiques, l'indifférence de la communauté internationale aux crimes de guerre est devenue la normalité, tandis que le Conseil de sécurité de l'ONU reste paralysé par les rivalités entre ses membres permanents. «Ce nouvel ordre mondial, où les droits humains sont considérés comme un obstacle aux intérêts nationaux, affaiblit dangereusement la capacité à combattre les atrocités massives qui sont commises, laissant la porte ouverte à des violences qui ne sont pas sans rappeler les heures les plus sombres de notre histoire.»
«La communauté internationale avait déjà répondu par un silence assourdissant aux innombrables atrocités de 2016 : un flux ininterrompu d'horreurs à Alep, des milliers de personnes tuées par la police dans le cadre de la “guerre contre la drogue” aux Philippines, l'utilisation d'armes chimiques et des centaines de villages incendiés au Darfour… La grande question qui se pose en 2017 est la suivante : jusqu'où ces atrocités vont-elles aller avant que le monde ne se décide à intervenir ?»
La Suisse également pointée du doigt
Les autorités suisse ont procédé au renvoi forcé illégal de milliers de demandeurs d’asile vers l’Italie, dont plusieurs centaines de mineurs non-accompagnés
Asile et discrimination
Les autorités suisse ont procédé au renvoi forcé illégal (push-back) de milliers de demandeurs d’asile vers l’Italie, dont plusieurs centaines de mineurs non-accompagnés. Certaines de ces personnes avaient des proches établis en Suisse. Les restrictions imposées à la liberté de circulation des demandeurs d’asile dans la plupart des centres fédéraux suscitaient toujours des préoccupations. En juillet, la Commission nationale de prévention de la torture a déploré le recours de la police à une force disproportionnée dans certains cantons au cours des opérations d’expulsions de migrants. Des craintes subsistaient notamment quant aux tentatives d’expulsion de requérants d’asile souffrant d’une grave maladie mentale.
En juillet, l’interdiction du port du voile intégral est entrée en vigueur dans le canton du Tessin. En septembre, le Conseil national a adopté une proposition de loi visant à interdire le port du voile intégral au niveau national. Ce texte était devant le Conseil des États à la fin de l’année.
Lutte contre le terrorisme et sécurité
La loi sur le renseignement qui avait été adoptée en 2015, a été approuvée par referendum en septembre 2016. Elle octroie de vastes pouvoirs au Service de renseignement de la Confédération, qui peut ainsi accéder aux informations personnelles provenant d’un large éventail de sources, à des fins définies de manière vague, comme la lutte contre les menaces terroristes.
Qui pour défendre les droits humains ?
Amnesty International appelle les gens du monde entier à résister à ces initiatives cyniques visant à faire reculer des droits humains garantis de longue date en échange d'une vague promesse de prospérité et de sécurité. Son rapport souligne que la solidarité mondiale et la mobilisation du grand public seront particulièrement importantes pour défendre celles et ceux qui s'opposent aux autorités et se battent pour les droits humains – que les gouvernements présentent souvent comme des obstacles au développement économique, à la sécurité ou à d'autres priorités.